Orignaux, chevreuils, ours: 18 collisions par jour au Québec impliquant de grands animaux
D’inquiétants chiffres révèlent qu’il y a eu plus de 40 000 collisions avec de grands animaux entre 2017 et 2022

Mathieu-Robert Sauvé et Charles Mathieu
Cerfs de Virginie, orignaux, ours : environ 18 grands animaux sont heurtés chaque jour sur les routes du Québec, causant de violentes collisions parfois mortelles, alors que plusieurs experts se demandent si les mesures de sécurité sont suffisantes pour mieux prévenir ces drames.
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« Je crois que la problématique des collisions avec la grande faune devrait attirer un peu plus l’attention des autorités responsables de la sécurité publique », soutient le biologiste Martin-Hugues St-Laurent, un des rares chercheurs universitaires québécois à étudier la question actuellement.
La plupart des automobilistes s’en tirent avec une bonne frousse, des blessures somme toute mineures et une facture salée après un accident avec une grosse bête.
« Je ne l’ai jamais vu venir quand il a frappé mon pare-chocs avant droit », s’exclame au Journal André Dunnigan, en parlant du cerf de Virginie qu’il a heurté en juin 2017 sur l’autoroute 35, en Montérégie. Heureusement, il n’a pas été blessé.

Mais le comptable agréé de Laval a eu pour plus de 12 000 $ de dommages sur sa Cadillac, une perte totale aux yeux des assurances.
Mais d’autres Québécois ont eu beaucoup moins de chance dans les dernières années.
Un jeune de 21 ans, Danik Guérin, est mort le 19 août dernier après être entré en collision avec un orignal sur sa moto à Saint-Gédéon, au Lac-Saint-Jean.
- Écoutez l'entrevue avec Martin-Hugues St-Laurent, biologiste et professeur d'écologie animale, Université du Québec à Rimouski au micro d’Alexandre Dubé via QUB :
Patrice Deshaies est aussi décédé quand il a été éjecté de sa motocyclette après avoir heurté un chevreuil, pour ensuite être happé par un automobiliste le 13 octobre 2018 sur l’autoroute 55, non loin de Drummondville.
Quant à Julie Bouchard, elle était passagère d’une motocyclette impliquée dans un accident mortel le 17 juillet 2017.
« Un orignal a traversé la voie publique, ne laissant aucune chance au conducteur de l’éviter », note la coroner Géhane Kamel dans son rapport sur le drame.
6730 accidents par an
Dans un rare exercice et à des fins d’analyse, Le Journal a obtenu des données de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), du MTMD ainsi que du Bureau du coroner du Québec sur le nombre de collisions avec la grande faune 2017 à 2022.

Au total, nous avons dénombré 40 382 accidents pour mesurer le problème et identifier les points chauds ainsi que les périodes les plus accidentogènes. Annuellement, on parle d’une moyenne de 6730 collisions, donc 18 par jour.
Cerfs, danger public
L’automne est un mois particulièrement meurtrier pour les bêtes. En novembre, on recense 6549 accidents, qui est de loin le pire de l’année sur les routes du Québec.
Cet enjeu de sécurité publique est aussi important au printemps, quand la faune est attirée sur le bord des routes par le calcium favorisant la croissance des ramures, dont ils se nourrissent.

Sur les accidents routiers impliquant un animal de plus de 25 kg, les orignaux causent le plus de morts. Plus de 22 décès ont été rapportés sur la période étudiée.
Le cerf de Virginie, appelé familièrement « chevreuil », est le plus sérieux danger public avec 5763 collisions par an, soit 86 % de tous les accidents, selon notre analyse.
LE NOMBRE DE COLLISIONS PAR MOIS ENTRE 2017 ET 2022
- Novembre 6549
- Octobre 4627
- Décembre 4586
- Juin 4079
- Juillet 3181
- Avril 3017
- Janvier 2915
- Mai 2552
- Septembre 2540
- Mars 2514
- Août 2148
- Février 1674
NOMBRE DE COLLISIONS AVEC DES ANIMAUX, PAR RÉGION ADMINISTRATIVE

Peu de données disponibles en raison du manque de recherches
Des campagnes de sensibilisation devraient être mises en branle, selon un expert

Peu de données sont disponibles sur les accidents de la route causés par de grands animaux, car peu de recherches sont réalisées.
« On sait qu’environ une collision sur six est causée par la grande faune au Québec. Pourtant, on sait peu de choses sur ce phénomène », note Martin Lavallière, chercheur membre du Réseau de recherche sur la sécurité routière du Québec.
Le professeur de kinésiologie à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) déplore le peu de recherches sur cet enjeu de sécurité publique dans un pays de grands espaces verts.
À son avis, les panneaux indicateurs pour passage de cervidés ou autres animaux sauvages sont des moyens insuffisants pour s’attaquer au problème.
« On mène régulièrement des campagnes nationales de sensibilisation pour boucler sa ceinture et contrer l’alcool au volant, mais rarement pour diminuer les collisions avec la faune », soutient-il.
De façon générale, l’expert souligne que la vitesse excessive réduit le temps de réaction lorsqu’on est au volant d’un véhicule moteur et qu’un événement se produit.
La limite de vitesse devrait par conséquent être abaissée là où les risques de collisions avec la grande faune sont majeurs.
200 M$ par an
Des travaux menés dans l’Ouest canadien par le Traffic Injury Research Foundation (TIRF) évaluent que le problème de collisions routières avec la grande faune engendre des dépenses d’au moins 200 M$ annuellement gouvernement canadien, assumées en grande partie par les contribuables.
Leurs calculs incluent notamment les coûts en lien avec des soins de santé fournis à cause des accidents, des frais d’assurances et le déploiement des premiers secours sur les scènes de collisions.
Difficile de savoir
Cet organisme à but non lucratif mène depuis 20 ans des études sur divers aspects de cette question.
Paradoxalement, le TIRF est financé par Desjardins, mais le mouvement coopératif québécois n’a aucune donnée sur ce thème, reconnaît la porte-parole Véronique Breton.
Combien de réclamations annuelles ? Quels montants ? En hausse ? En baisse ?
« Nous n’avons pas ces données qui sont regroupées sous le thème des collisions en général », écrit-elle.
Joints par Le Journal, ni le Bureau d’assurance du Canada ni la Chambre de l’assurance de dommages du Québec n’avaient plus d’information.
De plus en plus de collisions avec des cerfs à Montréal
L’augmentation des populations de cerfs de Virginie dans l’est de Montréal a fait bondir le nombre de collisions sur le réseau routier de la métropole, au point où une clôture anti-cervidé sera installée.
Alors qu’on observait en moyenne 24 collisions par année entre 2017 et 2021 dans la région administrative de Montréal, ce chiffre a bondi à 37 en 2022, une augmentation de 57 %.
Le Journal a appris que, pour diminuer ces intrusions sur le réseau routier, des clôtures anti-cervidés seront installées dans le secteur de l’autoroute 40 entre le pont ferroviaire du CN et le pont Charles-De Gaulle, à Pointe-aux-Trembles. Le Ministère a précisé que les travaux devraient être complétés avant la fin de l'année.
Problème connu depuis 2014
Le problème ne date pourtant pas d’hier.
Dès 2014, le ministère des Transports a cru bon d’installer des panneaux dans ce secteur afin d’avertir les automobilistes de la présence de cerfs.

À la suite d’observations de patrouilleurs et après l’analyse d’images captées par des caméras de surveillance du Centre intégré de gestion de la circulation et de données de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), le Ministère a estimé qu’il fallait aller plus loin dans les mesures d’atténuation.
La problématique des collisions avec les cerfs à Montréal fait l’objet de discussions entre le secteur Faune du ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques du Québec et la Sûreté du Québec, précise le porte-parole.
Le Ministère exclut toutefois des « passages fauniques » pour permettre aux cerfs de s’échapper sous l’autoroute lorsqu’ils auront terminé de longer les clôtures.

La Ville de Montréal n’a pas répondu à notre demande d’entrevue à ce sujet.
Plus de collisions en Estrie
Selon des données de la SAAQ obtenues par Le Journal, l’Estrie est la région où il y a eu le plus de collisions avec de grands animaux, soit 8372 entre 2017 et 2022. En Chaudière-Appalaches, on en dénombre 5975 et 4814 en Montérégie.
C’est en Abitibi qu’on rapporte toutefois le plus de collisions avec spécifiquement des orignaux et des ours (535 en six ans).
Mais la région métropolitaine n’échappe pas au phénomène puisqu’on ne retrouve pas moins de 197 collisions avec la grande faune en six ans et 184 à Laval.
Rapportez vos collisions !

Toute collision avec un animal de plus de 25 kg dans le réseau routier du Québec doit être rapportée à la police, rappelle le sergent Stéphane Tremblay, relationniste à la Sûreté du Québec.
« Sinon, c’est l’équivalent d’un délit de fuite », précise-t-il.
Le Code criminel prévoit des amendes de 200 $ à 600 $, plus l’inscription de 9 points d’inaptitude au dossier de conduite du conducteur qui quitte le lieu d’un accident dans lequel il est impliqué.
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