Regroupement familial: ils vont passer Noël loin des leurs à cause des délais qui s’éternisent


Léa Martin
Plus de 38 000 personnes attendent de pouvoir venir rejoindre un proche au Québec. C’est donc dire que beaucoup de familles et de couples passeront encore les Fêtes loin des leurs cette année.
«J'espérais tant passer Noël en famille», «J'ai raté l'enfance de mes enfants», «J'ai fait une fausse couche seule sur le plancher de la salle de bain pendant qu'on était en FaceTime, [pleurant] chacun sur notre continent»: ce sont quelques-uns des témoignages reçus par 24 heures en moins d’une journée.
Toutes ces personnes attendent que leurs parents, leur conjoint ou conjointe ou leurs enfants viennent les rejoindre au Québec après avoir fait une demande de regroupement familial.
Il faut savoir que les Canadiens et les résidents permanents qui ont des membres de leur famille proche à l’étranger peuvent les parrainer pour être réunis au pays.
Le problème, c’est que les délais de traitement des dossiers ont explosé. Depuis l’été, ils sont passés de 24 mois à 41 mois au Québec. Dans le reste du Canada, il faut attendre 10 à 12 mois.
«Je vais devoir accoucher seule»
Dans les dernières années, Emilie Lesage, 34 ans, avait l’habitude de rejoindre son conjoint à Cuba à l’approche des Fêtes. Enceinte de 31 semaines, elle ne pourra pas faire le voyage cette année.
«Je vais devoir accoucher seule, puisque ses demandes de visas de visite ont été refusées pour la naissance de notre fille», dénonce-t-elle.
En couple depuis l’an dernier, José Luis Alfonso Lopez et Emilie se connaissent depuis une dizaine d’années. Au début de 2023, ils ont célébré leur mariage à Cuba.

Même avec une lettre de recommandation d’un médecin pour que l’homme de 35 ans puisse assister à la naissance de son enfant, la demande de visa lui a été refusée, explique la future maman à 24 heures.
La raison invoquée par les autorités: ses «liens familiaux au Canada».
«Un des gros enjeux pour l’obtention d’un visa de résident temporaire est de pouvoir démontrer l’intention réelle de quitter le Canada et de revenir dans son pays d’origine [à la fin de son voyage]», explique l’avocat en droit de l’immigration, Alexis Dumont.
Mais lorsqu’une personne est en attente de regroupement familial, aux yeux de certains agents des autorités frontalières, elle risque de ne pas retourner dans son pays d’origine une fois arrivée au Canada, ce qui peut mener à un refus de visa.
Pourtant, en mai 2023, le gouvernement fédéral a publié un communiqué annonçant «un traitement accéléré des demandes de visa de résident temporaire (VRT) [...] afin que les familles puissent être réunies plus tôt en attendant que le traitement de leur demande de résidence permanente soit terminé».
«C’est contradictoire de permettre aux gens de demander un visa pour venir attendre l’obtention de la résidence permanente au Canada, mais de refuser ces demandes, parce qu’ils ne démontrent pas qu’ils comptent retourner dans leur pays», souligne Alexis Dumont.
Séparé de sa conjointe depuis 5 ans
Mafhoum Ousmane, 31 ans, se bute lui-aussi à un refus des autorités.
L’homme de 31 ans, originaire du Togo, est résident canadien et habite au pays depuis neuf ans. L’an dernier, il a entamé des démarches pour parrainer son amoureuse des cinq dernières années pour qu’elle puisse venir le retrouver. Il a du mal à comprendre pourquoi le dossier traîne, surtout que sa conjointe parle français et qu’elle travaille dans le domaine de la santé au Togo.
Jusqu’à ce qu’ils soient enfin réunis, Mafhoum visite sa conjointe le plus souvent possible. Il n’a toutefois que deux ou trois semaines de vacances par année, ce qui complique les choses. Il a même quitté trois fois de bons postes en informatique pour pouvoir aller passer du temps avec la femme qu’il aime.
Le couple n’attend qu’une chose: vivre ensemble au Québec pour enfin fonder une famille.
Une fois au Québec, les problèmes perdurent...
Céline Mazoyer, qui est d’origine française, est venue rejoindre son conjoint au Québec en 2021. Comme elle n’avait pas besoin de visa particulier comme touriste, la femme de 54 ans a pu venir en personne voir si le Québec lui plaisait. Elle a vite constaté que oui et le couple a entamé les démarches de parrainage.

Céline, qui loge actuellement chez son mari au Québec, occupe un emploi dans le domaine du voyage grâce à un permis de travail.
Après avoir rassemblé tous les documents, reçu son certificat de sélection du Québec, fourni ses informations biométriques et passé son examen médical, son dossier est complètement bloqué. La raison? Impossible de le savoir: elle est sans nouvelle des autorités depuis 2022, soutient-elle à 24 heures.
Plongée dans l’incertitude, la femme n’ose plus quitter le pays pour aller voir sa famille restée en Europe, de peur de ne pas pouvoir remettre les pieds chez elle au Québec. Elle a même dû se résigner à ne pas assister à l’enterrement de son frère en France, en 2023.
«Ce qu’on ne s’imagine pas vraiment, c’est qu’un permis de travail en tant que tel n’octroie pas le droit automatique d’entrer au Canada, explique Alexis Dumont du cabinet Nexus Services Juridiques. L’agent peut toujours décider, pour une raison ou une autre [...], de refuser l’entrée à quelqu’un.»
À cause des délais et de son dossier qui bloque, Céline Mazoyer passera, encore cette année, les Fêtes loin de son fils, qui habite en Irlande. Elle ne l’a pas vu depuis presque cinq ans, ce qui lui brise le cœur.
«Je peux te dire que ça commence à être long», lâche-t-elle, la voix tremblante.