Oui au commerce entre les provinces, mais pas au détriment du français, assure Québec
Des experts craignent pour les champs de compétences du Québec, sa langue et son identité


Nicolas Lachance
En raison de la guerre économique avec les États-Unis, le Québec est prêt à rabattre certains obstacles qui freinent le libre-échange à l’intérieur du Canada, mais pas au point de mettre en danger ses champs de compétences, sa langue et son identité.
Le ministre délégué à l’Économie du Québec, Christopher Skeete, s’est dit «optimiste» afin de réussir à harmoniser quelques secteurs de l’économie canadienne, tout en assurant que les exceptions liées à la protection de la langue française ne changeront pas.
Il a mentionné il y a deux semaines que le Québec échange déjà pour 172 milliards $ annuellement avec le reste du Canada.
Or, une récente note de la Banque Nationale du Canada estime que l’équivalent tarifaire moyen des barrières au commerce s’élève à 25% au Québec, soit une répercussion approximative à la menace tarifaire de Donald Trump. Les exemples d’obstacles sont nombreux (voir encadré).
Reconnaissance mutuelle
Si ces barrières étaient levées, cela atténuerait une partie des impacts négatifs des tarifs américains, estime le chef et vice-président de la recherche pour la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), Simon Gaudreault.
Selon lui, ces obstacles nuisent aux commerces des produits alcoolisés, du secteur agroalimentaire et à la mobilité des travailleurs sur l’ensemble du territoire. Les certifications professionnelles ne sont pas reconnues d’une province à l’autre.
À la fin de 2024, il y avait 94 000 postes vacants dans le secteur privé au Québec, signale Simon Gaudreault.
«Le principe qu’on essaie de pousser, c’est ce qu’on appelle la reconnaissance mutuelle», a-t-il plaidé.
«Quand quelque chose est reconnu dans une province, comme la viande ou un fromage, ça devrait être jugé conforme et reconnu pour la vente dans toutes les autres provinces. La même chose avec la reconnaissance des acquis et la mobilité des travailleurs.»
Protéger l’identité
Le constitutionnaliste Patrick Taillon signale qu’il existe au Québec des exigences dans la Charte de la langue française, en ce qui concerne les ordres professionnels.
Ces contraintes ont aussi été instaurées «au nom de la protection des consommateurs, au nom de la protection de la langue française [et] au nom de la protection de l’environnement», a indiqué Me Taillon.
Son collègue Guillaume Rousseau se montre d’ailleurs très prudent face aux négociations en cours entre les provinces et souligne l’importance de protéger l’autonomie du Québec dans ses compétences fondamentales.
Toute ouverture vers une harmonisation interprovinciale pourrait entraîner une perte d’autonomie du Québec et permettre à Ottawa d’empiéter dans les champs de compétences des provinces, croit-il.
«Les provinces commencent à dire “ouais, c’est vrai que c’est un problème et que ça pourrait rapporter des milliards si on avait moins de barrières”. Au début, c’est sur une base interprovinciale. Mais ça peut jouer pour le fédéral constitutionnellement», dit-il, évoquant la compétence du Québec en droit civil. «Le fédéral, à un moment donné, peut dire que ça devient d’intérêt national d’abolir ces barrières-là», explique le constitutionnaliste.
Il soutient également que le secteur agroalimentaire est un domaine sensible, puisqu’il touche à la culture et à l’identité.
Des barrières au libre-échange canadien
Des normes divergentes
Les règles en matière de sécurité, de santé et d’environnement divergent d’une province à l’autre, par exemple dans le secteur de la construction et des tarifs énergétiques.
Le transport
L’absence d’harmonisation des règles en matière de transport, comme le poids des camions, les dimensions autorisées ou les règles sur les matières dangereuses, peut entraîner des coûts supplémentaires pour les transporteurs.
Restrictions sur la mobilité de la main-d’œuvre
Les certifications professionnelles et les permis d’exercice sont rarement reconnus entre provinces, notamment le Collège des médecins, l’Ordre des ingénieurs. Au Québec, la main-d’œuvre doit parler et maîtriser le français.
Les monopoles et quotas sur des produits
Des sociétés d’État exercent un contrôle important sur certains secteurs de l’économie. On peut penser à Hydro-Québec, les régies des alcools comme SAQ au Québec et la gestion de l’offre sur l’industrie laitière.
Procédures bureaucratiques et différences légales
La paperasse diffère d’un territoire à l’autre. L’inscription d’une entreprise dans une autre province peut être laborieuse. Les lois sur les contrats, les recours collectifs ou la protection des consommateurs diffèrent.
Un exemple: les exigences fiscales qui varient, comme la TVQ. Les transactions commerciales peuvent devenir compliquées.
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