Plateformes numériques: où le Québec rayonne-t-il hors de ses frontières?


Emmanuelle Plante
Il devient coûteux de regarder les émissions qu’on aime. Chaque plateforme vient avec sa facture. Des productions de qualité y sont déposées. Nos productions créées avec talent à coup d’espoir et de persévérance doivent compétitionner avec des séries millionnaires américaines dont le marketing est aussi hollywoodien que le budget. Parallèlement, des cultures se frayent un chemin et captent l’attention des yeux du monde.
Club illico, Crave et ICI Tou.tv nous offrent en primeur les séries que leurs chaînes traditionnelles propulseront quelques mois plus tard. Mais les plateformes américaines se distinguent toujours au sommet des abonnements. Selon la société de recherche en audience GWI, au troisième trimestre de 2022, Netflix dominait au chapitre des plateformes récoltant le plus d’abonnés francophones au pays. Disney+ arrivait second, suivi de près par Prime Video. Cette semaine, le Fonds des médias du Canada (FMC) lançait de nouvelles initiatives pour faire briller le talent des Canadiens. S’inscrire au cœur du monde est un facteur important. Mais quelle place ces géants de l’écoute en ligne réservent-ils aux séries québécoises?

Initialement, je souhaitais écrire sur l’unicité des contenus québécois sur les plateformes internationales. Candidement, j’espérais que nous serions un terreau fertile, peu coûteux et créatif pour intéresser les géants. L’invitation a été lancée auprès des grandes plateformes internationales. Il n’y a que la direction de Prime Video qui a accepté de répondre à mes questions. Depuis le début de 2023, Prime multiplie les annonces prouvant son intérêt pour développer des contenus originaux québécois.
«Chez Amazon, nous écoutons ce que nos clients nous disent qu’ils veulent voir, et associons cela aux données d’audience pour voir ce qu’ils regardent et aiment, affirme Magda Grace, directrice de Prime Video, Canada, Australie et Nouvelle-Zélande. À partir de là, nous travaillons dur pour nous associer aux meilleurs créateurs du secteur qui peuvent apporter quelque chose d’unique et de différent à notre service.

«Nous voulons faire de Prime Video un endroit où le public québécois peut trouver les meilleurs séries et films disponibles, et nous voulons également être un lieu pour les talents et créateurs canadiens en offrant des environnements stimulants pour raconter leurs histoires.

«Nous reconnaissons la qualité de l’industrie du divertissement et des médias au Québec, et travailler avec des producteurs et des talents québécois ainsi que des créateurs émergents est ce que nous sommes prêts à faire.»

Le talent québécois
En janvier, la plateforme lançait LOL : Qui rira le dernier ?, adaptation d’un format japonais de la maison de productions Attraction, mettant en vedette une dizaine d’humoristes de chez nous et animée par Patrick Huard. On apprenait récemment que la série Nuit blanche laissée en plan par ICI Télé après une saison connaîtrait une deuxième vie sur la plateforme. Cette semaine, Pour un soir seulement, production de Juste pour rire, y prenait aussi place.
«Nous recherchons un point de vue authentique axé sur la diversité. Actuellement, nous voyons le succès de l’humour auprès du public canadien. Nous pensons qu’il y a là une réelle oppor-tunité, mais plus que tout, nous voulons un contenu qui trouvera d’abord un écho auprès des Canadiens et des Québécois», poursuit Mme Grace.

«Nous savons qu’il y a beaucoup de créateurs incroyablement talentueux au Québec et nous sommes ravis de travailler avec eux. Nous sommes attirés par les créateurs qui sont des raconteurs d’histoires passionnés, qui font les choses différemment et qui ont quelque chose à dire. Nous voulons de bonnes histoires qui ont le potentiel d’être rassembleuses.»

La diffusion
Actuellement, Netflix agit plus à titre de diffuseur que de producteur. En 2020, le géant investissait dans ce qui reste à ce jour la seule production originale québécoise, le film Jusqu’au déclin. La plateforme a aussi acheté les droits internationaux du Guide de la famille parfaite. Elle offre également à ses abonnés les captations spéciales de Martin Matte et, plus récemment, de Matt Duff alors qu’il se produisait au Centre Bell dans le cadre du Festival Juste pour rire. Netflix est associé à l’École Nationale de l’Humour depuis 2018, injectant des fonds dans des projets de comédies. D’autres partenariats se développent, avec la Wapikoni mobile notamment, mais aucune des productions n’atterrit officiellement sur la plateforme.

Quelques séries québécoises profitent d’une certaine visibilité, ayant obtenu une place dans son catalogue. Pensons à M’entends-tu?, Pour Sarah, Trauma, La vie, la vie et Les filles de Caleb. Pourtant, des productions québécoises connaissent un succès enviable grâce à de nombreuses adaptations. Un gars, une fille, qui renaîtra sous peu sur ICI Tou.tv 25 ans plus tard, a vu naître 30 versions dans autant de pays. La confrérie, Une affaire criminelle, Moi non plus, Révolution, Boomerang, Like-moi!, Les mecs, ne sont que quelques-unes des séries qui ont été vendues à l’étranger récemment. C’est non négligeable, bien évidemment.

Se faire connaître
Mais avoir sa place sur une plateforme internationale garde notre culture et notre langue bien vivantes auprès des autres territoires. Les séries nous font voyager, font tomber les frontières. Comme spectateur, avoir accès à des univers en italien, en espagnol, en indie, en coréen rend l’immersion encore plus crédible. Dans les dernières années, l’Espagne a montré qu’elle pouvait faire du suspense grâce à La casa de papel. Borgen a mis en lumière le progressisme de la société danoise avec une femme à sa tête.
La France s’est démarquée en ouvrant les postes d’une agence d’artistes dans Dix pour cent (Appelez mon agent). Une série qui permettait d’être témoin des jeux de coulisses d’un véritable star système. Lupin s’est hissé en tête des palmarès créant l’événement autour d’une œuvre classique portée par un acteur charismatique, Omar Sy. L’Italie se démarque par des séries comme Bang Bang Baby ou Prisma qui soumettent des trames intenses à de jeunes adultes dans des univers léchés. Et que dire de la Corée du Sud qui, en deux ou trois ans, est devenue une nouvelle référence dans le genre télé-crochet, sans oublier l’audace de ses fictions. Pensons à Extraordinary Attorney Woo, The Glory et, bien évidemment, Squid Game, énorme succès mondial. Vivement que le Québec s’y fasse une place enviable.