O’Toole le funambule


Guillaume St-Pierre
Erin O’Toole doit être en train de prendre conscience qu’il ne pourra pas marcher sur la pointe des pieds jusqu’au pouvoir sans que personne s’en rende compte.
Sans faire de bruit, O’Toole s’est vite retrouvé dans le siège du conducteur en début de campagne.
Tout roulait comme sur des roulettes.
Justin Trudeau était incapable de justifier son élection et les attaques libérales prévisibles sur les enjeux sociaux tombaient à plat.
Les derniers jours ont été un peu plus difficiles, en bonne partie à cause du débat sur les armes d’assaut.
Sa position de meneur a attiré sur lui le feu des projecteurs.
Je ne rentrerai pas dans les détails de ce débat. Mon argument est ailleurs.
Un petit rappel s’impose tout de même.
Armes à feu
Le Parti conservateur a (en apparence ?) opéré une spectaculaire volte-face après trois jours de questions serrées des journalistes.
Plus question de légaliser des armes de style militaire bannies par les libéraux.
L’interdiction va demeurer et le Parti propose de créer un comité « indépendant » qui sera chargé d’examiner la classification des armes.
C’est habile, même si ça a l’odeur d’un show de boucane.
Des candidats conservateurs jurent d’ailleurs sur les réseaux sociaux que le Parti a bel et bien l’intention d’aller de l’avant avec la légalisation de ces armes.
M. O’Toole a beau dire que c’est lui le chef, et que c’est lui qui décide. « Laissez-moi être clair une fois de plus, nous gardons toutes les restrictions qui sont en place », a-t-il martelé hier.
Il se retrouve néanmoins contredit par sa base sur un enjeu délicat.
Justin Trudeau, Jagmeet Singh et Yves-François Blanchet vont se faire un plaisir de le lui rappeler lors des deux prochains débats, surtout durant celui en anglais.
« M. O’Toole a fait des promesses au lobby des armes à feu, pour se faire élire, de renverser ce qu’on a fait pour bannir les armes d’assaut », a lancé Justin Trudeau.
Ce n’est pas banal qu’un chef doive jeter aux poubelles une page toute neuve de son plan de match.
Question de confiance
Au-delà du débat sur les armes à feu, une question émerge de cet épisode : en quoi croit réellement M. O’Toole ?
Qui est-il vraiment ?
O’Toole a démontré au débat de TVA qu’il avait de la stature. C’était un de ses objectifs de campagne.
Mais un flou artistique enrobe souvent ses prises de position.
Est-ce par crainte de choquer (encore) sa base électorale dans l’Ouest ?
Les électeurs sont forcés de se demander ce qui relève de l’opportunisme politique ou des convictions.
O’Toole a signé la fin de la récréation au printemps dans son premier grand discours devant ses militants. Le parti est condamné à se recentrer s’il veut reprendre le pouvoir, a-t-il dit en substance.
Droits des travailleurs, taxe sur le carbone, élargissement du filet social : la plateforme électorale du parti reflète en bonne partie le virage souhaité par le chef.
Le fameux plan conservateur n’est d’ailleurs pas encore chiffré, et il y a de bonnes chances que nous serons encore dans le noir au moment des débats de demain et jeudi.
Ce n’est pas idéal pour un parti qui se fait constamment accuser à tort ou à raison de cacher ses réelles intentions.
Pouvoir
Plus que jamais, O’Toole fait le pari du pouvoir pour rallier ses troupes.
Plusieurs de ses politiques sont contre nature pour un grand nombre de ses plus fidèles partisans, que ce soit sur les armes à feu, l’environnement, ou les questions sociales.
Le Parti conservateur a fait un travail remarquable depuis le début de la campagne pour éviter que des candidats brouillent le message du chef.
Je vous assure qu’il n’est pas facile de leur parler sur le terrain, je l’ai constaté lorsque j’ai visité différentes circonscriptions au pays.
On peut imaginer que certains bouillent d’envie de s’exprimer, tout en espérant que leur discrétion sera récompensée le 20 septembre prochain.