Oppenheimer a laissé un héritage puissant et complexe aux États-Unis


Luc Laliberté
Alors que le film qui porte son nom connaît un succès au box-office, je me permets de pointer vers des retombées de son influence en sol américain.
Un homme complexe, un défi et un héritage qui l’étaient tout autant
Dans une entrevue accordée à la Harvard Gazette, le professeur Steven Shapin souligne que le choix d’Oppenheimer pour diriger le projet Manhattan a étonné. Un de ses collègues aurait même déclaré qu’il n’avait pas les compétences pour gérer un stand de hamburger.
Pourtant, c’est à lui que le général Leslie Groves confie les rênes du plus grand projet de collaboration entre scientifiques de cette époque. Les noms de Groves et Oppenheimer demeureront à jamais liés à l’histoire de l’arme nucléaire.
Excentrique, énigmatique et charismatique, Oppenheimer a su relever le défi, validant au passage cette déclaration de Gustave Le Bon: «Ce ne sont pas les hommes qui font les événements, mais les événements qui font au contraire les hommes».
Si l’arme nucléaire a eu un effet considérable sur la manière dont on envisage la sécurité nationale, la politique étrangère et la conduite de la guerre, l’héritage d’Oppenheimer est aussi perceptible sur le site de Los Alamos au Nouveau-Mexique.
Il peut légitimement y être perçu comme un héros, contribuant à faire naître la ville et le Los Alamos National Lab. Le Nouveau-Mexique, État particulièrement pauvre, bénéficiera aussi de la venue de l’industrie militaire et de chercheurs du monde entier.
Encore aujourd’hui, l’État et les installations liées à Oppenheimer jouissent de retombées touristiques. Depuis jeudi dernier se déroule d’ailleurs le Festival Oppenheimer.
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Retombées négatives et, surtout, radioactives
Même si les effets positifs du passage d’Oppenheimer et du projet Manhattan sont notoires, il y a cependant un bilan très sombre qu’on ne doit pas ignorer.
Près du site du Test Trinité, lieu du premier essai nucléaire, les hispanophones et les Apaches Mescaleros ont souffert des effets néfastes du développement de l’arme nucléaire. On y a relevé un nombre élevé de cancers très rares.
Le site Axios soulignait la semaine dernière que dans la foulée du projet Manhattan, le gouvernement américain avait accéléré la production d’armes nucléaires, développant par la même occasion plus de 500 mines d’uranium sur le territoire des Navajos, eux aussi surreprésentés dans les statistiques de cancer.
Contrairement aux victimes de radiation du Nevada qui ont pu bénéficier du Radiation Exposure Compensation Act, celles du Nouveau-Mexique, majoritairement issues de minorités ethniques, n’ont bénéficié d’aucune aide. Jamais Oppenheimer ou le gouvernement américain ne se sont excusés.
Vous comprendrez sûrement que tous ne se réjouissent pas de la sortie du film ou des commémorations entourant les travaux du célèbre chercheur. C’est exactement ce qu’affirme une des victimes, Tina Cordova: «I don't have anything against him. But I really despise the fact that they brought the Manhattan Project to New Mexico because it changed our state forever.»