On a trouvé la faille de Patrick Roy: un ex-gardien revient sur sa déclaration qui a marqué la série Canadien-Nordiques de 1993
Daniel Bouchard estime que ses propos n’ont pas été un moment décisif


Stéphane Cadorette
L’année 1993 n’est pas seulement celle qui a marqué la dernière conquête de la Coupe Stanley par une équipe au pays, mais c’est aussi celle qui a mis en scène la dernière série entre le Canadien et les Nordiques. Une série émotive lors de laquelle ce n’était même pas un joueur sur la glace qui avait allumé le plus gros feu.
Le 20 avril 1993, les Nordiques se dotaient d’une avance de 2-0, au Colisée. Le talent offensif des Fleurdelisés ressortait et le gardien du Tricolore, Patrick Roy, avait accordé six buts sur 74 lancers.
Le lendemain à l’entraînement, l’entraîneur des gardiens des Nordiques, Daniel Bouchard, n’avait pu se retenir en déclarant qu’une faille dans le jeu de Patrick Roy avait été découverte. Tempête et éclipse médiatique immédiate dans la province!

Et finalement, cette faille? Le Canadien avait remporté les quatre duels suivants pour éliminer les Nordiques et poursuivre leur marche impériale vers la Coupe Stanley. Roy n’avait laissé passer que sept rondelles sur 129 dans les quatre autres rencontres.
«Je n’ai jamais regretté d’avoir dit ça. J’avais reçu une information privilégiée», a glissé Bouchard, lorsque joint récemment à son domicile d’Atlanta.
Quand le beau-frère s’en mêle
La faille de Roy n’en était donc pas une. Du moins, elle n’en était pas une sur le plan technique. Ce que Bouchard, lui-même ancien gardien des Nordiques, avait flairé, c’était plutôt une blessure à l’épaule.
«À l’échauffement le matin, les joueurs du Canadien lançaient 70 rondelles vers Patrick, dont seulement deux d’un côté. C’était normal de se poser des questions. La fameuse faille, c’est que mon beau-frère travaillait à l’hôpital où le Canadien allait. Il avait fait des radiographies et savait que Patrick était blessé.
«Ce sont les espions qui gagnent la guerre, pas les soldats. Mais bon, cette fois-là, les espions ont perdu», ne peut que constater Bouchard, 30 ans plus tard, en riant de bon cœur.

Guerre psychologique
Au cinquième match, Roy a dû quitter la rencontre momentanément après avoir été atteint d’un tir à l’épaule. En son absence, André Racicot avait concédé deux buts sur neuf lancers, mais Roy a repris du service à temps pour aider les siens à l’emporter 5-4 en prolongation. Au sixième et dernier duel, les Nordiques étaient à plat.
Aujourd’hui, Bouchard ne se cache pas pour dire qu’il avait refilé l’idée à quelques attaquants d’aller «tester Roy physiquement en le dérangeant.»
«C’était un jeu psychologique qu’on n’a pas gagné. Si on avait encore eu un Dale Hunter qui serait allé déranger le gardien, qu’est-ce qui serait arrivé? Nos attaquants ne sont pas allés là. Ils ne l’ont pas testé», déplore-t-il.
Le moment décisif?
Pendant des années, plusieurs ont insisté pour dire que cette déclaration de Bouchard avait eu pour effet de fouetter Roy et de changer le momentum de la série.
Jean Martineau, qui a été plongé dans le tourbillon à titre de responsable des relations médias des Nordiques, n’en démord pas. Surtout depuis qu’il a été appelé à travailler aux côtés de Roy lorsqu’il a été échangé à l’Avalanche du Colorado en décembre 1995 et plus tard, quand il est revenu comme entraîneur-chef.
«Connaissant beaucoup mieux Patrick aujourd’hui, je sais que ça avait été une erreur dramatique. Je répétais souvent à Pierre Pagé qu’il n’y avait que lui qui devrait pouvoir parler aux médias parmi le personnel d’entraîneurs. Par la suite, ça m’a servi parce que j’ai adopté une politique plus stricte.
«Dans une rivalité comme Québec-Montréal, si tu n’as pas assez de structure, tu vas en subir les conséquences. Ç’a été une grave erreur. Bouchard n’avait pas d’affaire à dire ça», dit-il.

Un facteur parmi d’autres
Aux yeux de l’ex-défenseur Steven Finn, la déclaration n’a certes pas aidé la cause des Nordiques, mais il ne faut pas croire que c’est ce qui a entraîné leur dérive.
«La rivalité était tellement forte qu’il y en avait même une entre les journalistes des deux villes. C’est sûr que les journalistes de Montréal se sont servis de cette déclaration pour en maximiser l’impact.
«Maintenant, est-ce qu’on peut dire qu’on a perdu la série à cause de cette déclaration? Clairement pas! Ce serait malhonnête de dire ça. Je ne vais pas me servir de ça pour planter Dan Bouchard. C’est sûr que comme joueurs, on s’est demandé pourquoi un gars d’expérience comme lui avait dit ça, mais personne ne lui en a voulu. C’est cliché, mais tu gagnes en équipe et tu perds en équipe», insiste-t-il.
Même 30 ans plus tard, cet argument ne convainc pas Jean Martineau, qui assure que la crise médiatique a eu son effet.
«Ça fait 30 ans qu’un club canadien a gagné la Coupe et cette année-là, Montréal a gagné parce qu’un joueur a pris l’équipe à bout de bras. On n’avait pas besoin de motiver Patrick encore plus! On avait un bien meilleur club que le Canadien, excepté que le gardien de but fait partie de l’équation...»
De la rancœur envers Ron Hextall chez les Nordiques

La série de 1993 entre le Canadien et les Nordiques s’est assurément jouée devant le filet. Il y avait un gardien en pleine possession de ses moyens en Patrick Roy et un autre en Ron Hextall qui est toujours pointé du doigt pour la défaite.
Trois décennies sont passées, mais celui qui était entraîneur des gardiens des Nordiques, Daniel Bouchard, refuse encore de porter l’odieux de l’élimination aux mains du Canadien en raison de sa déclaration polarisante sur la faille dans le jeu de Patrick Roy.
Selon Bouchard, il suffit de comparer les deux gardiens en présence pour comprendre que les Nordiques n’allaient jamais avoir le dessus.
«Patrick Roy était blessé et il nous a battus avec un bras. Le point tournant, c’est que Stéphane Fiset aurait dû goaler. Penses-tu que Hextall voulait rester à Québec, de la manière dont il a goalé?», questionne-t-il en suggérant lui-même la réponse.
Après un début de série efficace, Hextall a sombré en concédant 13 buts lors des trois derniers duels. Il a finalement été échangé au terme de la saison et n’aura donc passé qu’une année à Québec, lui qui avait montré une réticence à s’amener à Québec après la mégatransaction Lindros.
Pourquoi pas Fiset?
Visiblement, Bouchard ne tient toujours pas Hextall en haute estime après toutes ces années.
«J’avais parlé avec les entraîneurs et j’avais dit que Fiset était le meilleur choix. Tous les joueurs venaient me voir pour me demander pourquoi Fiset ne jouait pas. Jacques Martin faisait le choix pour les gardiens et c’était son homme. Je lui dit que c’était un mauvais de choix de prendre un gardien qui se jette à terre pour regarder le plafond.
«C’est pas normal qu’un gars comme Paul DiPietro couche Hextall, qui était sur le dos à regarder les bannières du Forum dès qu’un gars lui faisait une feinte», peste-t-il.
«Pierre Pagé m’avait déjà demandé avant d’acquérir Hextall où je le classais parmi les gardiens de la Ligue nationale et j’avais répondu: pas mal comme son numéro (27)!».
Décision controversée
Avant le troisième match au Forum, Mario Roberge et le Canadien avaient dérangé Hextall dans sa routine d’avant-match et il n’a plus semblé le même par la suite.
«Le fait que les joueurs du Canadien soient rentrés dans la tête de Ron Hextall a eu bien plus d’impact sur la série que la déclaration de Dan Bouchard», croit l’ex-défenseur Steven Finn.
Devant la cage des Nordiques, Stéphane Fiset avait été fumant en deuxième moitié de saison avec un dossier de 10-3-1 en mars et avril. À six reprises, il avait donné deux buts ou moins.
L’entraîneur-chef Pierre Pagé a réfléchi à l’idée de changer de gardien, mais a placé sa confiance en Hextall.
«Sans garantir le filet à Fiset pour le reste des séries, ça aurait au moins pu changer la dynamique en donnant un break à Hextall. Il était intense dans sa routine et ça peut devenir un problème pour un athlète si tu es trop superstitieux et que l’autre équipe parvient à te déranger. Il était aussi très agressif comme gardien avec la rondelle et le Canadien l’a figuré», estime Finn, qui tient toutefois à donner le mérite au Canadien.
«On était autant, sinon plus, talentueux qu’eux, mais ils formaient une équipe qui savait gagner et ils avaient plus de profondeur.
«Ça fait encore mal de penser à cette série. Je ne dirai jamais qu’on aurait gagné la Coupe Stanley en passant à travers le Canadien, mais après, plusieurs bonnes équipes étaient tombées. Il reste qu’avec tout ce que le Canadien a fait cette année-là, ils l’ont mérité, leur Coupe Stanley.»