«On a tout fait ensemble, sauf l'amour»: la longue amitié de Guylaine Tremblay et Denis Bouchard qui se retrouvent au théâtre cet été dans la pièce «Fallait pas dire ça!»


Sarah-Émilie Nault
Ils n’ont jamais été amoureux, mais ont maintes fois été cités comme couple chouchou des Québécois. Ils multiplient les projets communs depuis leur rencontre il y a plus de 40 ans, et savent garder un précieux contact lorsque la vie les éloigne. Quatorze ans après leur dernière présence conjointe sur les planches, Guylaine Tremblay, 64 ans, et Denis Bouchard, 71 ans, repartageront la scène cet été avec la pièce Fallait pas dire ça! Le Journal s’est entretenu avec les interprètes de l’inoubliable couple vedette de la série Annie et ses hommes (2002 à 2009) qui lancera également en août un livre biographique relatant l’histoire derrière leur grande amitié.

Vous souvenez-vous de votre toute première rencontre?
Guylaine Tremblay: «Je pense que c’était au Pub de Londres à Berlin, le bar qui était en face du Rideau Vert. C’était le rendez-vous des jeunes acteurs. Les plus riches allaient à L’Express (rires). Ça devait être vers la fin des années 80. On a eu une connexion immédiate, comme quelqu’un de ta famille avec qui ça connecte. On riait des mêmes choses, on trouvait les mêmes choses ridicules.»
Denis Bouchard: «On riait tout le temps. On ne se connaissait pas, elle venait de Québec, moi de Montréal, on savait qu’on était acteurs, mais quand Guylaine était là, j’allais m’asseoir à côté, on fumait dans le bar, on se prenait une grosse bière et une grosse poignée de popcorn et on riait. On aimait les mêmes affaires, on haïssait le même monde. On riait aux larmes tout le temps.»
G. T.: «On s’est dit: “Il faudrait vraiment travailler ensemble, il faut vivre ce plaisir qu’on a dans la vie sur scène!” Peu de temps après, on s’est fait appeler par le Rideau Vert pour jouer deux pièces de Molière.»
D. B.: «On a tellement eu du fun! Puis, on a joué dans une autre pièce avec Marcel Leboeuf, Gaston Lepage, Jacques Girard et Pierrette Robitaille. Tous des comiques. On sortait tous les soirs jusqu’à 4 heures du matin!»
G. T.: «C’était un prolongement du plaisir qu’on avait à être ensemble.»
D. B.: «À un moment, on a essayé de comprendre comment ça se pouvait, une relation de même. On n’était pas amant-maîtresse, on ne l’a jamais été. On a réalisé qu’on avait ben des atomes crochus: on est nés tous les deux le 9 octobre, tous les deux à 6h du matin, et on est tous les deux Balance ascendant Balance.»
G. T.: «Je viens de Charlevoix, les ancêtres de Denis viennent de Charlevoix. Mon arbre généalogique est truffé de Bouchard et le sien de Tremblay. On a beaucoup de racines communes et de hasards de vie. Il y a une espèce d’affaire évidente qui est là. On s’entend super bien, on ne s’est jamais chicanés. Juré sur la tête de nos enfants, on n’a jamais été en couple. Même si tout le monde pensait qu’on sortait ensemble. On a tout fait ensemble, sauf l’amour! (rires).

Parlez-moi de ce projet qui vous réunit à nouveau: la pièce de théâtre Fallait pas dire ça!
G. T.: «La production m’a appelée pour me parler du spectacle et me dire qu’ils aimeraient que je le fasse en disant que c’était un show à deux, un couple. On m’a demandé si j’avais une idée de qui pourrait le faire. Je n’ai même pas réfléchi, j’ai dit: “Si Denis veut, c’est Denis!” Ensemble, on s’est dit qu’on voulait tout faire: la mise en scène, l’adaptation, la conception, tout! Pour cela, il faut avoir une complicité et une connexion. Et il n’y a pas d’orgueil entre nous, on peut se le dire quand ce n’est pas bon.»
D. B.: «Tous les deux, on est des acteurs de créations. C’est ce qu’on aime le plus, créer des affaires. Alors toute notre énergie s’en va là-dedans et là, c’est le party!... (rires) On a tout réécrit le show. Il doit rester trois répliques de la pièce française (de l’autrice Salomé Lelouch). C’est vraiment notre adaptation. C’est une grosse année de travail.»
G. T.: «On l’a complètement mise à notre image... Ça nous nourrit aussi. Ça me fait du bien de répéter avec Denis, car je sais qu’on va avoir du fun et rire et encore trouver des affaires même si ça fait tellement de fois qu’on lit la pièce. Et ça fait quand même 14 ans qu’on n’a pas joué ensemble, depuis la pièce Ça se joue à deux qui avait été écrite par les auteurs de la série Annie et ses hommes, alors on est contents!»
Vous jouez donc un couple?
G. T.: «Oui, mais c’est un couple qui s’aime par exemple. Ce n’est pas un couple en difficulté. Comme ils se retrouvent pris toute une fin de semaine dans un appartement loué pour célébrer leurs 30 ans de vie commune, mais qu’ils retrouvent vide, ils jasent. La pièce aborde le fait que tu te rends compte parfois qu’au fil des années, il y a plein de sujets que tu n’abordes plus avec ton chum. Dans la pièce, Diane dit tout ce qu’elle pense et Normand, pas assez. Je crois que les couples vont se reconnaître.»
D. B.: «Les sujets de conversation jaillissent. On passe à travers tout ce qu’on peut discuter en couple. Même le fait qu’elle écoute de la porno... (rires) Ce n’est pas juste du théâtre d’été, c’est de la comédie de mœurs. C’est pointu. On peut rire intelligemment. On passe à travers des sujets comme les personnes trans, la pollution, la chirurgie esthétique, ce qu’on peut dire et qu’on ne peut pas dire en public; tout ce qui touche la société moderne. C’est vraiment le fun à jouer. Les gens vont rire et se retrouver.»
G. T.: «Dieu sait qu’on a besoin de rire et d’humanité ces temps-ci! Et ça fait du bien de voir un couple qui s’aime et qui est capable de rire ensemble. D’ailleurs, Denis, je suis sûre que ce n’est pas notre dernier projet. Nos cerveaux sont trop en ébullition quand on est ensemble!»

Vous écrivez aussi un livre à quatre mains qui sortira en août prochain.
D. B.: «Oui, c’est un livre sur notre amitié. On fait cela en même temps, c’est beaucoup, mais ce n’est que du plaisir. Ça nous a entre autres permis de réaliser le nombre de couples qu’on a joués ensemble! Ce n’est pas d’hier!»
G. T.: «On n’a aucune prétention comme auteurs, on ne gagnera pas le prix Goncourt, mais ce sont nos mots. On voulait revisiter ce lien si fort entre nous.»
D. B.: «On voulait voir d’où c’est parti aussi. Ni Guylaine ni moi ne venons d’un milieu culturel. Personne chez nous n’était acteur. Comment tu deviens un acteur à travers la moitié du 20e siècle? Tout cela jusqu’à ce qu’on se rencontre, qu’on s’éloigne à cause du travail et qu’on se retrouve. Il y a beaucoup d’aspects biographiques.»
G. T.: «Ça a vraiment été le fun comme exercice à faire. Il y a des affaires oubliées et des gens à qui je n’avais pas pensé depuis longtemps et ça te revient tout d’un coup. Alors tu te dis: “Mon Dieu, j’ai une belle vie! C’est incroyable!”»
Complétez la phrase suivante: travailler avec Denis c’est...?
«Du bonheur et un filet de sécurité. Quoi qu’il arrive sur scène, on ne sera jamais mal pris avec Denis. C’est juste du plaisir!»
Et travailler avec Guylaine, c’est...?
«Je dirais que c’est un privilège, parce que ce n’est pas tout le monde qui rencontre sa partenaire. Guylaine, c’est MA partner!»
G. T.: «Nous, on a encore 20 ans en dedans. Dans la création, on est encore des kids. Vraiment! C’est une amitié très solide qui ne se dément pas avec les années. Tout est prétexte à déconner ensemble, on est des enfants!»

En quoi êtes-vous similaires et différents?
G. T.: «Je suis plus cute (les deux acteurs s’esclaffent). Sérieusement, on est de gros travaillants tous les deux et on est du monde game. On ne laisse jamais la peur prendre le dessus. On a pris des risques ensemble et chacun de notre bord aussi. Mais sinon, je pense que je suis plus diplomate que Denis, hein, Denis?»
D. B.: «Oh oui! Moi, je suis plus soupe au lait. Quand vient le temps de négocier des affaires et de calmer la tempête, c’est Guylaine. Mais quand vient le temps de brasser de la m*rde parce que quelque chose n’avance pas, donne ça à Denis! (rires)»
G. T.: «On est conscients de nos forces et de nos points plus faibles. Denis, c’est comme de l’huile sur le feu (rires).»
D. B.: «En même temps, parfois Guylaine, cuisse ou poitrine, ça peut être 20 minutes (rires). Moi je suis plutôt: allez, on prend les deux!»
Pourquoi croyez-vous que les gens vous aiment autant ensemble, au point de dire que vous êtes un couple chouchou du Québec?
D. B.: «Probablement qu’ils reconnaissent des couples qu’ils connaissent à travers nos couples fictifs. La vérité et l’authenticité de ces gens-là, en fait.»
G. T.: «Oui, l’authenticité et la sincérité. Parce qu’on ne joue jamais des personnages avec une aura de perfection. On joue des gens qui ont des forces et des faiblesses. On ne s’identifie pas aux parfaits. Tous les deux aussi dans la vraie vie, on sait d’où on vient et on s’en souvient.»
Guylaine, vous êtes magistrale dans le rôle de Janette Bertrand au théâtre en ce moment. Qu’est-ce que cette rencontre et ce rôle vous ont appris?
«Quand j’ai reçu cette offre-là, on m’a dit que même avant que je ne sois choisie, Janette avait dit: “Il faut que ce soit Guylaine qui le joue!” C’est tellement un grand honneur! J’étais contente de lui rendre hommage, car les femmes et les hommes lui doivent tellement de choses. Ce que ça m’apprend, soir après soir, c’est qu’il faut se tenir debout, tout le temps. Janette l’a fait d’une façon remarquable, sans agressivité, sans colère injustifiée, mais avec fermeté. Je trouve cela remarquable! Aussi, tant qu’on est là, on peut être un agent de changement dans le monde dans lequel on vit. Je la porte comme une femme qui est là pour nous rappeler de rester debout et vigilantes.»

Parlez-moi de vos autres projets.
D. B.: «Je me suis découvert un plaisir à m’occuper de ma terre. J’ai beaucoup de plaisir à la campagne avec mon chien. Je suis moins disponible qu’avant et si je fais un projet comme celui-là, je ne fais que celui-là. Je m’investis beaucoup avec la Popote roulante comme porte-parole aussi. Fallait pas dire ça, je veux le jouer le plus longtemps possible, et c’est ce qu’on va faire si ça fonctionne bien. Sinon, une chose est sûre, je vais faire un show que je suis en train d’écrire tranquillement avec Daniel Lemire, ce qui sera probablement son dernier show. On va être deux sur scène. Ça fait 40 ans qu’on travaille ensemble, on est en train de travailler là-dessus. Ça sera sur le thème des voyages.»
G. T.: «En plus de Janette, je pilote le documentaire sur le deuil animalier La vie après toi: traverser un deuil animalier. C’est un sujet fascinant, il y a plein de témoignages et ça a donné de beaux moments, et même si on parle de deuil, c’est aussi une série lumineuse.»
Fallait pas dire ça!
Au cours d’une fin de semaine de vacances pour fêter leurs trente ans de vie commune, Diane et Normand ont une discussion très animée sur les problèmes et sujets de société auxquels ils font face aujourd’hui.
Avec Guylaine Tremblay et Denis Bouchard.
Du 4 juillet, jusqu’en 2026, à travers le Québec, dont au Théâtre Desjardins de Lasalle du 4 au 12 juillet, la salle Odyssée de Gatineau du 17 au 26 juillet, et le Centre des arts Juliette-Lassonde de Saint-Hyacinthe du 31 juillet au 16 août 2025.

5 projets avec Guylaine Tremblay et Denis Bouchard
Le film Testament de Denys Arcand (2023)
Guylaine Tremblay jouait une femme dépressive à la suite de la mort de son mari (interprété par Denis Bouchard) qui a eu une crise cardiaque en faisant du vélo.

La série Annie et ses hommes (2002 à 2009)
Guylaine Tremblay et Denis Bouchard y jouaient le couple vedette formé par Annie Séguin et Hugo Nadeau, aussi parents de trois enfants, Maxime, Marion et bébé Mathilde.

Ça se joue à deux (2009)
Après le succès d’Annie et ses hommes, les auteurs ont écrit cette pièce pour le duo, qui y interprétait divers personnages. Le thème central était la vie de couple.

La petite vie (1994)
Denis Bouchard a fait une apparition dans La petite vie sous les traits d’un réalisateur de télévision qui tombait amoureux de Caro, le mythique personnage de Guylaine Tremblay.
4 et demi... (début des années 90)
La série de Sylvie Lussier et Pierre Poirier est la première dans laquelle les deux amis ont interprété un couple.