Normand Chouinard s’ouvre sur le départ de sa fille, Rosine, décédée à l’âge de 28 ans

Daniel Daignault
Dans Tous toqués!, de la réalisatrice Manon Briand, le comédien incarne un homme atteint de la maladie d’Alzheimer. Ce rôle représente un défi de taille, notamment en raison de l’absence de répliques de son personnage. Mais ce n’est pas le seul obstacle qu’il a dû affronter, car il a perdu sa fille, Rosine, en 2021, un sujet qu’il aborde avec pudeur.
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Normand, avez-vous vu le film? Êtes-vous content du travail accompli par l’équipe?
Oui. C’est un feel-good movie, et je pense qu’on a besoin de ce genre de film. J’ai fait Le temps d’un été en 2022, et, avec Tous toqués!, j’ai l’impression qu’on parle de choses intéressantes avec un certain humour et un certain détachement. Ça me plaît beaucoup, parce qu’on a quantité de films dramatiques et durs au Québec. Dans cette production, je suis tombé sur un type de personnage que je n’avais jamais joué de ma vie. Dans tous les rôles que j’ai interprétés au cours de ma carrière, j’ai toujours eu du texte à dire, mais, dans ce film, mon personnage ne prononce que deux mots: «Allo? Allo?» Il est là, il a une présence, mais je n’avais jamais aussi bien exploré ma qualité d’écoute que dans ce film-là.
Était-ce un rôle difficile à jouer?
Il faut rester concentré, parce qu’on n’a pas de mots sur lesquels s’appuyer: tout passe par le regard, les yeux, l’attitude. Pendant le tournage, entre les scènes, je me promenais en incarnant mon personnage, je le vivais, parce qu’avec l’alzheimer, il y a plusieurs étapes. Au départ, quand on est atteint de la maladie d’Alzheimer, on constate une certaine déchéance et une perte de facultés. On peut réagir par la tristesse, mais aussi par la colère, la révolte. Dans le film, on peut imaginer que M. Latendresse a dépassé ça. Il est rendu à l’étape où il n’est plus conscient de certaines choses, et où il oublie les noms. Il sait que Sonia (Julie Le Breton) est sa fille, il sait qu’elle s’occupe de lui — sinon il serait dans un centre d’accueil —, il l’aime et il aime sa petite-fille. Il n’est pas malheureux.
Vous n’aviez jamais eu l’occasion de travailler avec la plupart des comédiens qui jouent dans le film, n’est-ce pas?
Non, et j’ai apprécié de tourner avec eux. La jeune Lélia Nevert est vraiment excellente! Elle est très intelligente, elle a une grande sensibilité et elle a fait du doublage. C’était aussi la première fois que je travaillais avec Julie Le Breton. Je la connais, mais nos chemins ne s’étaient jamais croisés avant. J’ai adoré ça, elle est très investie sur le plateau. Elle donne beaucoup, elle aide les autres, elle crée, elle propose.
Par exemple?
Dans une scène, elle est venue me chercher dehors, alors qu’elle n’avait pas à le faire. Elle a dit: «Viens, papa», parce qu’il y avait des marches et qu’elle avait peur que je tombe. Ce n’était pas prévu, mais elle l’a fait et la réalisatrice a dit: «On garde ça!»
Sinon, avez-vous travaillé sur un autre projet cet été?
Non, j’ai pris des vacances. Après 56 ans de métier — j’ai commencé en 1968 à Québec, où j’ai fait le Conservatoire d’art dramatique —, il ne faut pas me proposer un rôle dans une série à quatre jours par semaine, je ne le ferai pas. Je veux avoir du temps à moi, et je n’en ai pas eu tant que ça! Cet été, j’ai seulement traduit une pièce qu’André Robitaille va monter. Il m’a fait confiance parce que j’ai fait ça souvent. Quand j’avais un théâtre d’été avec Marcel Leboeuf, je traduisais des pièces américaines ou anglaises, puis je les montais. Là, c’est André qui va la monter et c’est parfait pour moi. J’ai eu tout l’été pour accomplir le travail, j’y suis allé à mon rythme. J’ai des petits contrats comme ça, et d’autres où je tourne durant deux ou trois jours, comme dans Avant le crash. Peut-être qu’il y aura autre chose, mais je ne stresse pas avec ça. Si ce n’est pas tout de suite, ce sera plus tard, parce qu’on ne prend jamais sa retraite dans ce milieu.
C’est vrai que vous avez travaillé beaucoup comme comédien, metteur en scène et traducteur de pièces.
Oui. À un moment donné, j’étais directeur du Conservatoire d’art dramatique de Montréal, propriétaire d’un théâtre d’été, je jouais dans deux séries télé et au Théâtre du Nouveau Monde (TNM), tout ça en même temps. Je ne voyais plus la vie, c’était juste ça: travailler, travailler, travailler. Et je n’avais qu’une semaine de congé pendant le temps des fêtes.
Avez-vous fait quelque chose de particulier pendant vos vacances?
Je suis allé dans le Bas-Saint-Laurent, et je vais toujours à Charlevoix. Un gars de Québec, ça reste un gars de Québec, et Charlevoix, c’est comme nos Laurentides, notre Estrie. Je m’y rends chaque été. J’ai aussi visité mon petit-fils. Sa grand-mère, Violette Chauveau, et moi le voyons de temps en temps. C’est la mère de ma fille qui est décédée. On s’est connus en 1988 et on est séparés. J’habite avec ma blonde à Saint-Lambert, ça va faire 13 ans que nous sommes ensemble. Elle a travaillé au service des ventes commerciales et internationales à l’Hôtel Bonaventure et est maintenant à la retraite.
Voulez-vous me dire un mot sur votre fille, Rosine, décédée en 2021 à l’âge de 28 ans?
C’est une chose qu’on n’admettra jamais: les parents n’enterrent pas les enfants, ce n’est pas normal. Elle n’était pas en bonne santé, elle avait des problèmes cardiaques. Pendant la covid, elle voulait qu’on jette un coup d’oeil plus poussé là-dessus, mais c’était tout le temps reporté. Et un matin, elle ne s’est pas levée. Elle faisait de l’arythmie cardiaque. On ne se remet pas vraiment de son départ. Sans son fils, ce serait plus difficile. Mais c’est correct, il faut que la vie continue.

Vous avez l’air en forme. Pratiquez-vous un sport?
Je nage, je fais du vélo et je marche. J’ai toujours fait de la natation. J’ai habité sur le bord d’un lac, en Estrie, et j’en faisais la traversée tous les jours. Maintenant, je vais à la piscine, et il y a des BIXI sur la Rive-Sud, alors j’en profite. C’est important de rester actif. Sinon, je soigne mon arthrose. Mes genoux me font un peu mal, mais bon, c’est l’âge.
Au cours de votre longue carrière, j’imagine que vous avez noué des amitiés fortes avec des collègues.
Oui, c’est sûr. D’ailleurs, Rémy (Girard) et moi avons été reçus cette année au Panthéon du TNM. Ce n’était pas un événement public, ça s’est fait lors d’une soirée de levée de fonds. Avec le Panthéon, Lorraine Pintal célèbre des gens qui ont été importants pour le TNM. Ça a commencé par Michel Tremblay, en 2022, l’an dernier, c’était Monique Miller, et cette année, c’était Rémy et moi.
Avez-vous travaillé souvent ensemble, tous les deux?
Oui, on se connaît depuis l’âge de 11 ans! À l’école, on faisait du théâtre, puis on est allés au Conservatoire et à l’Université Laval ensemble. On a écrit des pièces, on en a monté, on a joué ensemble, il n’y a rien qu’on n’a pas fait. On se voit tout le temps et, chaque 31 décembre, on est ensemble pour fêter l’arrivée de la nouvelle année.

Le film Tous toqués! sort en salle le 13 septembre.