Nordiques: un départ aux conséquences incommensurables

Jean-Charles Lajoie
Le 25 mai 1995, un jeudi ensoleillé au cœur d’un printemps incertain.
Neuf jours plus tôt, au mythique Madison Square Garden de New York, les Nordiques subissaient l’élimination devant les Rangers, qui s’étaient forgé une avance de 4 à 0 à mi-chemin du match, notamment grâce à deux buts d’Alex Kovalev.
Sous une pluie de pénalités, ce n’était même pas subtil, les Bleus n’ont pu remonter malgré le but de Joe Sakic, le jeune capitaine. Peter Forsberg a ramené Québec à deux buts, mais c’était trop peu, trop tard. L’élément-clé de la plus grosse transaction du hockey venait d’inscrire le dernier but de l’histoire des Nordiques.
Trente ans plus tard, c’est difficile de ne pas croire que les dés étaient pipés. Un club se fait sortir au premier tour des séries après avoir terminé au sommet de l’Est et au deuxième rang de la Ligue nationale de hockey (LNH). Et neuf jours plus tard, son actionnaire de contrôle annonce la vente de l’équipe à COMSAT Communications et son transfert au Colorado.
La question aujourd’hui n’est pas de me demander si les Nordiques reviendront ; vous connaissez ma propension idéaliste à croire que oui. C’est plutôt de comprendre comment notre société a bien pu laisser partir cette équipe chérie de l’est de notre beau pays.
Aussi complexe que ce type de dossier puisse sembler, il est en réalité cavalier et simpliste. La mort des Nordiques est survenue à la suite d’une «guéguerre» entre deux coqs qui ont refusé de céder d’un pouce. Marcel Aubut a ignoré le mariage proposé par le premier ministre Jacques Parizeau. Ce dernier a fait en revanche du débordement d’ego plutôt que de se comporter en chef d’État. Économiste et intellectuel brillant, homme sensible et affable, il a erré en entrant dans une mauvaise danse avec Me Aubut, qui refusait mordicus que l’équipe lui survive à Québec, sa ville.
Une catastrophe
Les ego démesurés des deux hommes et leur débordement d’orgueil ont sonné le glas d’une concession que le monde aimait, ne serait-ce que pour mieux la détester. Ce qui était moins perceptible il y a 30 ans, c’est comment la mort des Nordiques allait produire des effets collatéraux catastrophiques.
Le Québec allait mordre la poussière lors d’un deuxième référendum. Ce départ a aussi signé le début de la lente agonie du hockey amateur québécois.
La présence pour le Canadien d’une compétition à 2 h 20 min de route avait un effet sur le hockey mineur d’ici. Montréal avait mis à mort son «boys’ club» anglo-saxon, nommant Ronald Corey à la présidence, Serge Savard à la direction générale et Jacques Lemaire derrière le banc. Les trois larrons assuraient une réplique «en français» au trio d’Aubut, Maurice Filion et Michel Bergeron. Les deux DG rivalisaient dans le but de compter un Québécois de plus que l’autre.
C’est tout ça qu’on a perdu en même temps que les Nordiques. Collectivement, on s’est soumis aux volontés des décideurs chacals qui ont gangréné notre hockey amateur pour mieux s’enrichir.
Résultat: le hockey, pourtant sacré sport national par le premier ministre François Legault, est désormais réservé aux élites de notre société. Les moins nantis ne peuvent même plus rêver de jouer un match organisé. En 1995, on a perdu les Nordiques, le référendum, nos illusions, et depuis, on ne cesse de perdre notre hockey!