Ne sommes-nous que des perdants professionnels?


Christian Dufour
Trente-cinq ans après l’échec de l’accord du lac Meech, dont le cœur était l’ajout dans la Constitution canadienne d’une clause reconnaissant que le Québec constitue une société distincte en majorité francophone au sein du pays, le peuple fondateur du Canada au plan historique est toujours exclu de sa loi fondamentale avec des conséquences de plus en plus malsaines non seulement pour le Québec, mais également pour le pays lui-même.
Sommes-nous devenus un peuple de perdants professionnels? Quelle tragédie que cette énorme énergie politique et intellectuelle gaspillée dans un projet souverainiste devenu en grande partie un rêve compensatoire nous aidant à supporter une réalité canadienne qui nous échappe.
Les attaques de Donald Trump contre le Canada n’ont pas seulement renforcé l’unité d’un pays fondé en opposition aux É.-U. au milieu du XIXe siècle. Ces attaques ont également fait ressortir de façon claire le côté canadien du Québec: une partie substantielle des nationalistes, y compris des souverainistes, ont plébiscité un Mark Carney continuateur direct de Trudeau père et fils sur le plan identitaire, même si ces nationalistes avaient la possibilité de voter pour le Bloc Québécois.
Pouvoir québécois
Alors qu’il est à craindre que leur ambivalence traditionnelle amène les Québécois à porter au pouvoir le PQ de Paul St-Pierre Plamondon tout en battant son référendum sur la souveraineté sans considération pour les conséquences dramatiques d’un troisième échec éminemment probable – nous serons définitivement traités comme un groupe ethnique –, quelle tristesse que notre société s’avère à ce point incapable de focaliser sur l’essentiel, le maintien et l’accroissement du pouvoir québécois.
Non pas les grandiloquentes paroles creuses sur l’existence d’une fière nation québécoise au milieu des dizaines d’autres nations autochtones; non pas les chimères constitutionnelles internes auxquelles le gouvernement Legault semble tenté de succomber. Non, juste l’ajout d’une seule clause dans la constitution du Canada.
Une clause qui ferait toute la différence au plan juridique sur l’existence d’une société distincte québécoise au sein du pays, avec comme unique contenu précisé une majorité francophone, en laissant les tribunaux canadiens, dont la Cour suprême faire le reste du travail dans des dossiers cruciaux pour notre identité comme la laïcité et le français.
• Sur le même sujet, écoutez cet épisode balado tiré de l'émission de Francis Gosselin, diffusée sur les plateformes QUB et simultanément sur le 99.5 FM Montréal :
Legault, Plamondon, Rodriguez, Duhaime, Ghazal
Loin d’être dépassé, ce concept d’une société distincte francophone correspond plus que jamais à la réalité du Québec de 2025, de même que ce à quoi aspire la grande majorité de Québécois. Et contrairement à Meech où d’autres dispositions exigeaient l’unanimité, un tel ajout à la Constitution ne nécessiterait qu’une entente bilatérale Québec-Ottawa.
Qu’attend le Québec pour rappeler à Mark Carney que la force identitaire du Canada face à Trump ne repose pas que sur son héritage loyaliste britannique, mais également sur les ancêtres «anciens Canadiens» des Québécois d’aujourd’hui, les seuls à s’appeler eux-mêmes et à être appelés ainsi par les autres pendant 200 ans?
Peu importe en vérité la personnalité politique qui le ferait. Que ce soit François Legault, Paul St-Pierre Plamondon, Éric Duhaime, Pablo Rodriguez ou Ruba Ghazal, l’essentiel est que quelqu’un ait le courage d’une telle initiative, la seule en mesure de rapprocher vraiment le Québec du Canada dans l’intérêt de l’un et de l’autre.
Fait crucial, cela préserverait la possibilité de l’indépendance dans un avenir où cette dernière deviendrait autre chose qu’un rêve compensatoire, comme elle l’est beaucoup devenue maintenant. Par définition, la société distincte léguée par l’ancien premier ministre Robert Bourassa sera toujours, selon les mots gravés sur son monument à l’Assemblée nationale, «libre et capable d’assumer son destin et son développement».
Ironie suprême, un Québec renforcé par la reconnaissance constitutionnelle qu’il constitue une société distincte au sein du Canada aurait objectivement plus de chances d’accéder à une indépendance éventuelle que la Belle Province actuelle en futile attente du «grand soir»...
Christian Dufour
Politicologue et auteur