Mort de la fillette de Granby: «Tout le monde l’a échappé»
La coroner Me Géhane Kamel a déploré, dans son rapport d’enquête, tous les drapeaux rouges ignorés

Valérie Gonthier
La coroner qui a enquêté sur le décès tragique de la fillette de Granby a résumé le drame et son ampleur en quelques mots: «Tout le monde l’a échappé. Le médecin l’a échappé, le milieu éducatif, la DPJ, la police».
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«Tout le monde doit porter son bout de blâme dans cette histoire-là. Je souhaite que des gens tirent des leçons», a lancé Me Géhane Kamel en conférence de presse, mercredi.
La coroner n’a pas mâché ses mots pour décrire comment le système avait abandonné l’enfant de 7 ans en ignorant de nombreux signaux d’alarme.
En avril 2019, celle qui est surnommée «la fillette de Granby» avait été retrouvée étendue sur le sol de sa chambre. Elle avait été recouverte de ruban adhésif, incapable de bouger. Elle en avait eu sur la tête et même sur les voies respiratoires. Elle est morte par suffocation.

Elle se trouvait ainsi parce qu’on voulait éviter qu’elle s’enfuie de nouveau. Dans sa chambre, sa fenêtre était même barricadée pour être rendue inaccessible.
Travail en silo
C’était le père qui avait la garde de l’enfant, «et ce, malgré des signalements répétés de violence conjugale et de violence directe à l’égard de l’enfant».
«La question reste en suspens, mais elle demeure pourtant cruciale: pourquoi n’a-t-on pas confié l’enfant à un tiers?» a questionné la coroner.
Le père ainsi que la conjointe de ce dernier avaient été arrêtés puis accusés.
La belle-mère de l’enfant a depuis été condamnée pour séquestration et meurtre.

Le père, accusé de séquestration, avait écopé de trois ans et demi de prison.
«Plusieurs signes avant-coureurs laissaient présager cette tragédie», a résumé la coroner Kamel.
Mais tous les intervenants ont travaillé en silo et, ainsi, les nombreux drapeaux rouges ont été ignorés (voir encadrés).
«Cette enfant aurait dû être entendue. Les nombreux signaux étaient là, mais la réponse a été fragmentée et insuffisante», a-t-elle lancé.
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Responsabilité de tous
Selon elle, il est «crucial» que la société prenne conscience de sa responsabilité.

«La protection des enfants ne relève pas d’un seul organisme. Mais de tous, justice, santé, éducation, services sociaux, et de chaque citoyen», a-t-elle dit.
Elle espère d’ailleurs que le décès de l’enfant aura au moins appris à la société qu’il ne faut plus laisser un enfant «dans l’indifférence».
«Je suis toujours assez étonnée de voir passer sur Facebook des publications de chiens perdus qui roulent en boucle. Mais, quand il est question d’enfants négligés, on a ce réflexe humain de dire: “Ça ne me regarde pas, je vais fermer les rideaux”», a-t-elle déploré.
Me Géhane Kamel a donc adressé 12 recommandations très précises à diverses organisations, dont les ministères de la Santé et des Services sociaux, de l’Éducation, de la Sécurité publique et de la Justice ainsi que Santé Québec.
– Avec Antoine Lacroix
Des drapeaux rouges ignorés
Médecins
À 7 ans, elle a le corps d’une enfant de 4 ans. Un mois avant son décès, elle est rachitique. Pourtant, aucune déclaration de maltraitance ou de négligence n’est faite. De surcroît, son médecin de famille a suggéré que sa porte de chambre soit verrouillée la nuit en raison de ses fugues et de ses comportements jugés problématiques. Une méthode plutôt «questionnable», selon la coroner.
Direction de la protection de la jeunesse
Quatre signalements à la DPJ concernant la petite n’ont pas été retenus. Par exemple, la petite avait confié à son éducatrice que, si elle faisait pipi au lit, son père la faisait dormir par terre et la privait de nourriture. Aussi, jamais la DPJ n’a fait de visite surprise chez la fillette. Les suivis téléphoniques étaient privilégiés. De plus, c’est la belle-mère qui était à la maison à temps plein avec l’enfant, mais les intervenants en savaient peu sur elle parce qu’elle refusait de collaborer.

Police
Après un signalement pour abus physique, la petite est rencontrée au poste de police. Or, elle refuse de parler, disant que «ce qui se passe à la maison doit rester à la maison». L’entrevue n’a duré que huit minutes, rien de plus n’a été tenté.
En tout, entre 2012 et le drame survenu en avril 2019, les policiers sont intervenus à 24 reprises au domicile de l’enfant.
«Ces informations à elles seules n’auraient-elles pas dû indiquer un drapeau rouge?» s’est demandé la coroner.
École
L’enfant se plaignait souvent d’avoir faim, mangeait tout ce qu’elle trouvait et connaissait même l’horaire des poubelles pour y fouiller. Elle disait aussi recevoir des douches froides et chaudes, en plus d’être forcée à faire des «squats» et la chaise lorsqu’elle ne respectait pas les consignes. Des signes de violence et de négligence étaient aussi visibles sur l’enfant. Malgré tout, la scolarisation à domicile a été privilégiée. «On n’aurait même pas dû envisager une scolarisation à la maison considérant les difficultés qu’elle avait», a insisté la coroner.
Société
La veille du drame, l’enfant s’est sauvée par la fenêtre de sa chambre et s’est retrouvée nue à l’extérieur. Elle s’est rendue chez des voisins en larmes. Le père est venu la récupérer et, une fois à la maison, des contentions lui ont été faites. Le voisin n’a jamais signalé la situation aux autorités.
«De voir une enfant nue dehors à 1h du matin, on devrait tous se sentir interpellés comme citoyens», a commenté la coroner.
Mot pour l’enfant
À la fin de son rapport, la coroner a adressé un mot à la fillette de Granby, «partie trop tôt, bien trop tôt».
«Tu ne me connais pas et, pourtant, comme tant d’autres, j’ai pensé à toi. J’ai entendu ton histoire, celle qu’on aurait préféré ne jamais entendre, celle qui serre le cœur et révolte l’âme», a-t-elle écrit.
«Petite étoile, on t’a volé tes ailes avant même que tu aies le temps de les déployer», a-t-elle ajouté.
Il était important de s’adresser à l’enfant pour lui dire que, «même si collectivement on a échoué», elle espère sincèrement qu’elle pourra «trouver un certain repos», a expliqué Me Kamel lors de la conférence de presse.
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