Publicité
L'article provient de Le Journal de Québec
Opinions

Moratoire sur les évictions: une mesure importante, mais nettement insuffisante

«Si l’épiphanie soudaine de la ministre France-Élaine Duranceau est sincère, son projet de loi ne serait qu’un premier pas», écrit Josée Legault dans sa chronique du 24 mai 2024.
«Si l’épiphanie soudaine de la ministre France-Élaine Duranceau est sincère, son projet de loi ne serait qu’un premier pas», écrit Josée Legault dans sa chronique du 24 mai 2024. Capture d'écran AssNat
Partager
Photo portrait de Josée Legault

Josée Legault

2024-05-24T04:00:00Z
Partager

Renommée pour son parti-pris ouvert pour les propriétaires, l’opération relooking politique de France-Élaine Duranceau, ministre de l’Habitation, se poursuit. Première étape: la semaine dernière, elle avouait avoir «peut-être» manqué d’empathie envers les locataires. 

Deuxième étape: mercredi, le dépôt d’un bref projet de loi imposant un moratoire de trois ans sur certains types d’évictions. Lequel répond aussi en partie à la demande de Québec solidaire d’abaisser de 70 à 65 ans l’âge des locataires moins fortunés ne pouvant être évincés par un propriétaire.

D’une pierre, les stratèges de la CAQ font quelques coups. Ils tentent de sauver l’impopulaire «soldate» Duranceau, mais surtout, d’installer l’image d’un gouvernement devenu «sensible» aux locataires.

À quelques jours d’un conseil national crucial pour le virage pragmatique de Gabriel Nadeau-Dubois, la CAQ – doublée par le PQ dans les sondages –, fait aussi une fleur au chef parlementaire de QS.

Bref, comme on dit, les adversaires de mes adversaires sont mes amis. Au-delà des stratégies évidentes, il reste toutefois le fond des choses.

Soit que le moratoire, tout en étant une mesure importante, s’annonce nettement insuffisant pour juguler une crise dont l’ampleur, à force d’inaction, atteint des sommets inégalés.

Pis encore, en déposant le projet de loi maintenant, il aura zéro impact sur la saison 2024 des déménagements forcés par des évictions déjà imposées.

Publicité
Cartésienne, vraiment?

Dans sa communication politique, la ministre Duranceau justifie son projet de loi en répétant qu’elle est une «cartésienne», qui «analyse et réfléchit».

Si elle était une vraie cartésienne, elle aurait pourtant imposé ce moratoire bien avant. Tout comme elle n’aurait jamais retiré aux locataires leur droit acquis à la cession de bail.

Ce moratoire, elle s’y était en effet refusée depuis sa nomination. Et ce, alors que moult experts, organismes communautaires et les partis d’opposition, données sérieuses à l’appui, le réclamaient depuis des années.

Soit bien avant l’arrivée récente de nombreux résidents temporaires cherchant à se loger, dont la ministre se réclame pourtant pour justifier son projet de loi.

«Mieux vaut tard que jamais», disent néanmoins certains. Quand une crise frappe durement depuis des années, désolée, mais tard, c’est tard. Sans compter qu’au pays, le Québec est aussi terriblement en retard pour les mises en chantier.

Un bouquet de mesures

En plus du moratoire, des solutions connues, il y en a. La crise a pris une telle ampleur qu’elle commande nécessairement un aréopage de mesures.

Exemples: redonner aux locataires leur droit acquis à la cession de bail. Instaurer un registre des baux. Réguler pour vrai les augmentations de loyer devenues carrément abusives à travers le Québec.

Même à Sherbrooke, selon La Tribune, depuis 2021, le prix des 4 1⁄2 a bondi de 43%. À travers tout le Québec, la flambée des loyers est ahurissante.

De plus en plus de locataires désespérés doivent même se livrer à des surenchères surréalistes. Que dire de l’appauvrissement et des problèmes de santé mentale qui, inévitablement, s’ensuivent?

Dans une province où 5% à peine des logements sont à but non lucratif, le gouvernement pourrait également investir beaucoup plus dans la construction de logements hors marché. Les formules, là aussi, sont connues.

Bref, si l’épiphanie spectaculaire de la ministre et du gouvernement est sincère, ce projet de loi ne serait qu’un premier pas. Le vrai test, il est là.

Un premier pas qui, considérant l’urgence d’agir après des années d’inertie, serait suivi rapidement d’un véritable bouquet de mesures archi concrètes.

À défaut de quoi, force serait malheureusement de conclure à un calcul tout d’abord politique.

Publicité
Publicité