Monsieur Carney va à Washington


Pierre Martin
Le nouveau premier ministre canadien a déjeuné à la Maison-Blanche et s’est fait servir une salade de mots indigeste par un hôte aussi imprévisible qu’irrationnel.
Le Canada a progressé dans ses relations avec l’intempestif président américain, ne serait-ce que parce que Mark Carney n’est pas Justin Trudeau.
Toutefois, si on veut éviter la catastrophe qui attend l’économie nord-américaine si les tarifs insensés de Donald Trump ne sont pas abandonnés, il faudra tenir le président aussi loin que possible des tables de négociation.
L’irrationalité aux commandes
Pour Mark Carney, docteur en sciences économiques d’Oxford, entendre Trump parler de commerce doit être une sorte de torture. On se demande ce qui est plus difficile pour lui: s’empêcher de faire la leçon à ce cancre ou retenir son fou rire.
L’ex-banquier doit être un redoutable joueur de poker, car son visage était impassible.
Pour Trump, un déficit commercial équivaut à une subvention au partenaire en surplus. C’est ce qui l’a amené à dire récemment que l’interruption du commerce avec la Chine représenterait un gain énorme pour les États-Unis. Tant pis si les étagères de Walmart sont vides et si les enfants américains ne reçoivent qu’une fraction des jouets qu’ils convoitent à Noël.
Trump dit la même chose à propos du Canada. Il prétend que les États-Unis pourraient facilement se passer de leur premier client mondial. Une bêtise n’attend pas l’autre.
Le monde selon Trump
Il n’y a pas que la relation commerciale canado-américaine que Trump est incapable de comprendre. Il ne comprend tout simplement pas la relation dans son ensemble.
Depuis plus d’un siècle, les deux pays vivent en relative harmonie et cette interdépendance inégale est mutuellement bénéfique.
Mais le seul type de relations que Donald Trump peut comprendre – que ce soit entre individus ou entre pays – est une relation où le plus fort domine et le plus faible se soumet. Dans le monde selon Trump, il n’y a pas de place pour une relation saine entre voisins de taille et de puissance si inégales. L’un doit nécessairement dominer l’autre. C’est pourquoi il croit tout à fait normal que l’Ukraine s’écrase devant l’envahisseur russe.
Il faudra quand même en venir à un modus vivendi entre partenaires nord-américains d’ici au départ de l’anomalie Trump, en espérant qu’il s’agisse d’une anomalie.
La clé de la relation
Donald Trump prétend que le commerce nord-américain doit être chamboulé de fond en comble, et ce, même s’il repose sur un accord tripartite qu’il qualifiait lui-même en 2018 de meilleur accord commercial de tous les temps. Les temps changent.
Comme en 2018, le fardeau d’en venir à un accord avec les États-Unis reposera sur les épaules des négociateurs des deux pays et sur celles des acteurs économiques qui feront pression pour que les gains de plusieurs décennies d’intégration économique ne soient pas effacés au profit de la vision antédiluvienne d’un autocrate en mal de domination.
Le défi de Mark Carney sera de ménager les sautes d’humeur de son interlocuteur et d’aider l’entourage de Trump à lui faire percevoir des modifications marginales aux ententes actuelles comme des pas de géant vers un avenir radieux pour l’Amérique. Bonne chance...