Publicité
L'article provient de Le Journal de Québec
Opinions

Monsieur Bouchard, je suis en colère

L'ex-premier ministre du Québec, Lucien Bouchard
L'ex-premier ministre du Québec, Lucien Bouchard Photo courtoisie TVA
Partager

Alice Lévesque, sœur de René Lévesque

2022-06-06T14:30:46Z
Partager

Monsieur Bouchard, je suis en colère. À 93 ans bien sonnés, avec toute ma tête, tout mon cœur, je pose un geste que je n’ai jamais fait, je vous écris. On s’est déjà rencontrés. Je suis Alice Lévesque, née le 17 août 1928, six ans après mon frère René qui fêtera ses 100 ans le 24 août prochain. Je sais être directe, vous me pardonnerez.

• À lire aussi: Lucien Bouchard critiqué par la sœur de René Lévesque

J’aurais apprécié beaucoup plus de nuance de votre part lors de vos entrevues la semaine dernière à titre de président d’honneur de l’«Année Lévesque». Un président d’honneur n’est-il pas censé faire honneur au célébré? N’est-il pas censé relater sa vie, son œuvre, ses moins bons coups, mais surtout, ses meilleurs? Mais que retient-on de vos premiers propos, M. Bouchard, à titre de président d’honneur du 100e anniversaire de René Lévesque? 

Votre opinion
nous intéresse.

Vous avez une opinion à partager ? Un texte entre 300 et 600 mots que vous aimeriez nous soumettre ?

Principalement vos états d’âme à l’égard de son parti, le vôtre aussi. Je sais à quel point le Parti Québécois – créé par mon frère entouré de gens fiers, qui avaient le Québec tatoué sur le cœur – a malmené tous ses chefs. 

Publicité

Je connais la dynamique interne avec des membres exigeants qui vous ont sûrement enragé plus d’une fois, blessé peut-être, comme le fut René à maintes reprises. Est-ce une raison pour déprécier ce parti comme vous le faites aujourd’hui?

Pendant que vous décrivez le Parti Québécois comme un «véhicule usé», qui «ne mérite pas de très bien aller», que vous dites que «c’est pas fort», que «ça clique pas», que «les gens n’en veulent plus» et qu’«on en choisira un autre», on vous entend en revanche vous attrister du sort réservé aujourd’hui au Parti libéral. 

Vous dites espérer sa remontée, le décrivez comme «un grand parti qui a laissé un grand patrimoine aux Québécois, parce que ça nous prend une alternative». Il faut que le Parti libéral se reconstitue, selon vous, car sa faiblesse n’est pas bonne pour la démocratie.

L’importance du Parti Québécois

Je ne comprends pas que vous n’ayez pas mis la même énergie à défendre l’héritage du Parti Québécois, qui a accompli de grandes choses pour le Québec. Ou à souligner la résilience et la force de conviction de ses membres, qui ont porté pendant toutes ces années, et malgré les aléas, le projet de souveraineté – projet qui, selon vous, reste «une nécessité politique».

Vous auriez aussi pu insister sur le rôle et l’importance du Parti Québécois pour la démocratie, à l’approche d’élections qui risquent de confirmer la grande domination de la CAQ. 

Vous auriez certes pu évoquer les questionnements de René sur la longévité des partis, de tous les partis, mais reconnaître aussi que celui qu’il a fondé a su mobiliser une nouvelle génération de membres et de candidats qui, sans aucun opportunisme, croient encore au projet de faire du Québec un pays. Mais, M. Bouchard, vous avez fait le contraire. Vous avez suggéré que nous avancerons avec «un autre véhicule», que ce sera «peut-être avec d’autres mots que souveraineté, séparatisme».

Publicité

Les partis politiques vivent des cycles. Permettez-moi ce rappel historique. J’ai vécu la mort de votre propre parti, le Bloc Québécois, en 2011, qui était passé au fil des ans de 75 à 4 députés. J’ai fêté sa remontée en 2019 avec 32 députés. Vous vous souviendrez aussi du Parti progressiste-conservateur en 1993 qui est passé de 151 à 2 élus, pour reprendre le pouvoir en 2006.

Dans ce contexte, pourquoi condamner le Parti Québécois au trépas? Sans compter que la direction du véhicule politique qui vise à mener la nation québécoise à son indépendance, vous le savez mieux que quiconque, implique un haut degré de difficulté, exige une habileté exceptionnelle et impose de féroces périodes en eaux troubles.

Référendum

En entrevue, vous avez été très dur envers un Parti Québécois qui propose, s’il est élu en 2022, de tenir un référendum. C’est, avez-vous dit, «irresponsable». Cela «manque de réalisme». 

Mais ne dénoncez-vous pas ainsi exactement ce que proposait mon frère René, en 1970 et en 1973, s’engageant à créer un pays sur la simple base du résultat électoral? Puis en 1976, alors qu’il s’engageait à tenir un référendum, tandis qu’aucun sondage ne donnait la souveraineté majoritaire? Dommage que vous soyez si dur au moment où l'on inaugure la statue de Jacques Parizeau, au pied de laquelle il est écrit: «N’ayez pas peur.»

Je ne suis pas une pure et dure, mais on ne gardera pas cette option vivante et les indépendantistes mobilisés par la résignation et en craignant une consultation populaire sur la question de l’indépendance du Québec. Pourquoi aujourd’hui condamner tout entier le parti pour cet élément stratégique sur lequel il est impossible d’atteindre l’unanimité?

Publicité

Plus de 27 ans après le deuxième référendum, ni vous ni moi ne savons où s’en va l’histoire. Qui aurait dit, il y a à peine quelques mois, que l’indépendance du Québec, ce mot tabou, serait de retour dans l’actualité et que cela incarnerait à nouveau, pour plusieurs, la seule option valable pour permettre enfin au Québec d’assumer ses choix?

Vous avez le droit de ne plus croire au Parti Québécois de 2022, vous avez vos raisons. Vous avez le droit de le critiquer. Mais j’ai été très attristée et choquée de voir que vous condamniez le parti de celui que vous honorez cette année, le parti qui porte toujours haut et fort son option. Ce parti a subi au cours de son histoire de nombreux coups, je ne m’attendais pas au vôtre, si cinglant.

Le poids des mots

Vous dites que René avait le sens des mots; vous l’avez, vous aussi, M. Bouchard. Vous connaissez le poids et la portée des mots, le poids et la portée du titre de premier ministre du Québec, et du titre de président d’honneur du 100e anniversaire de René Lévesque.

Je ne doute aucunement que vous estimiez René. Je comprends que vous ayez pu trouver pénible de diriger ce parti exigeant, démocratique à l’extrême, dans lequel les membres ne se gênent pas pour défier leur chef. Je vous demande, sauf votre respect, de faire preuve de plus de rigueur et d’équilibre dans votre évaluation d’un élément central de l’héritage de René Lévesque, soit le véhicule politique qu’il a créé, le Parti Québécois.

Salutations respectueuses,

Photo Courtoisie
Photo Courtoisie

Alice Lévesque, sœur de René Lévesque

Publicité
Publicité