«Mon arrière-grand-mère était un monstre»: Amélie Nothomb explore la vie de sa mère dans son roman «Tant mieux»


Marie-France Bornais
Après avoir fait honneur à son père dans Premier sang (2021) et Psychopompe (2023), l’écrivaine Amélie Nothomb, dans Tant mieux, évoque sa mère et, pour la première fois, le lien très particulier qui les unissait. Dans son 34e roman, elle raconte une enfance marquée par les bombardements à Bruxelles, la présence des collabos, de mystérieuses disparitions de chats et des «vacances» d’été traumatisantes chez une grand-mère sadique à Gand. «Mon arrière-grand-mère était un monstre», confirme l’écrivaine.

«Si ma mère n’était pas morte, je n’aurais pas pensé à écrire sur elle. Quatre mois après sa mort, j’ai ressenti un si fort besoin d’écrire sur elle que cela m’en a rendue capable», explique Amélie Nothomb, en entrevue par courriel, au sujet de Tant mieux.
«Après la cérémonie, ma sœur et moi, nous nous sommes partagé les mouchoirs blancs [en tissu] de notre mère. Pleurer dans les mouchoirs de ma mère m’a fait beaucoup de bien.»
La période d’écriture a été «bouleversante», ajoute-t-elle. «Je me disais: “Tant que j’écris, ma mère est vivante”.»
En Belgique en 1942
Dans le roman, Amélie Nothomb raconte qu’en 1942, il fut convenu que sa mère Adrienne, qui avait alors quatre ans, irait passer l’été chez sa grand-mère à Gand, une ville plus petite qui ne risquait pas d’être bombardée.
Nous sommes en pleine Seconde Guerre mondiale et tout le monde souffre en Belgique. Le pire? «La faim et le froid», précise l’écrivaine.
La mère d’Adrienne la confie à «Bonne-maman», qui s’avère une femme méchante qui oblige sa petite-fille à manger du hareng au vinaigre avec du café au lait pour déjeuner. Et quand elle vomit, la vieille folle la force à remanger ce qui est sorti. Abject.
Privations et méchanceté
Le moins qu’on puisse dire, c’est que le séjour d’Adrienne chez «Bonne-maman» est marqué par les privations et la méchanceté. «Tous les témoignages le confirment: Bonne-maman de Gand était un monstre. Je n’ai rien inventé. Voilà. Mon arrière-grand-mère était un monstre», confirme Amélie Nothomb.
À l’époque, la petite Adrienne s’en tire en développant sa débrouillardise et sa créativité. Privée de poupée et de jouets, elle s’attache à une cuiller en bois nommée Maïzena et s’occupe du gros chat de Bonne-maman, une créature flasque appelée Pneu.
La force du «Tant mieux»
Régulièrement, Adrienne se répète intérieurement cette expression: «Tant mieux». Et passe au travers. Une sorte de formule magique, de mantra, pour faire face à l’adversité. «Le tant mieux, c’est l’attitude la plus courageuse au monde. Ma mère m’a appris qu’il ne fallait jamais céder aux ténèbres», commente Amélie Nothomb à ce sujet.
Une grand-mère particulière
La grand-mère d’Amélie Nothomb avait aussi des habitudes très particulières, qu’on découvre dans le livre. «Ma mère m’avait tant parlé de sa mère! Elle était obsédée par sa mère», précise-t-elle.
Amélie Nothomb raconte dans le roman le sort affreux réservé aux chats. Une histoire traumatisante à souhait. «Le plus fou, c’est que ma mère a été capable d’aimer sa mère jusqu’au bout», partage-t-elle.
De la tension
De retour à Bruxelles, Adrienne observe les liaisons bizarres qu’entretiennent les adultes de son entourage avec de beaux messieurs et de belles dames.
Astrid, sa mère, est ravissante et Donatien, son père, intelligent et bien poli. Ils n’ont pas l’air de s’aimer beaucoup: c’est tendu entre eux, ils se chicanent souvent, mais... pas question de «briser un ménage». Ce roman va laisser une forte empreinte sur quiconque le lit.
Tant mieux
Amélie Nothomb
Éditions Albin Michel
Environ 162 pages
- Amélie Nothomb est née à Kobé au Japon, en 1967.
- Dès son premier roman, Hygiène de l’assassin, elle s’est imposée comme une écrivaine singulière.
- En 1999, elle a obtenu le Grand Prix de l’Académie française pour Stupeur et tremblements et, en 2021, le prix Renaudot pour Premier sang.
- Elle publie cette année son 34e roman.
«– Debout là-dedans!
C’était la formule magique de sa mère, mais c’était la voix de sa grand-mère. Adrienne, quatre ans, décida de ne pas se réveiller. Pourquoi aurait-elle obéi à cette horrible vieille femme, alors qu’elle aimait tant dormir?
– Debout là-dedans! Répéta la mal nommée Bonne-maman.»
– Amélie Nothomb, Tant mieux, Éditions Albin Michel
• À lire aussi: 16 romans très attendus d’auteurs renommés d’ici et d’ailleurs
• À lire aussi: Amélie Nothomb raconte son voyage rocambolesque au Japon avec sa grande amie Pep dans «L’impossible retour», son nouveau roman
• À lire aussi: Camille Benyamina a adapté en bande dessinée le fameux roman «Barbe bleue», d’Amélie Nothomb
• À lire aussi: Voici nos 25 romans préférés de 2024
• À lire aussi: Amélie Nothomb: «Quand j’atteins mon écriture, je vole»
• À lire aussi: Salon international du livre de Québec: visite émouvante d’Amélie et Juliette Nothomb