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L'article provient de Clin d'oeil
Voyages

Mode à l’européenne 101

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Photo portrait de Alaska  Rider

Alaska Rider

2024-05-11T22:55:00Z
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Il y a eu le chic décontracté de Jane Birkin, l’élégance innée de Diana et l’audace insouciante de Kate Moss.

Les blogues se sont ensuite enflammés devant les garde-robes bien garnies des modeuses telles que Jeanne Damas et Alexa Chung. Mais qu’est-ce qui rend la mode européenne si irrésistible? La fascination qu’elle exerce sur l’Amérique est-elle fondée... ou est-elle le fruit de nos fantasmes vestimentaires?

L’élégance européenne: cliché ou réalité?

Jouons à un jeu: mettez brièvement votre lecture sur pause, fermez les yeux et imaginez-vous une vie où vous décideriez de tout plaquer pour vous installer de l’autre côté de l’Atlantique. La sentez-vous, la dolce vita italienne? Ou peut-être êtes-vous plutôt de type hygge, à la danoise? Dans tous les cas, le sentiment est plutôt agréable, non?

@sarahbabineau_
@sarahbabineau_

Sarah Babineau décide de faire passer le rêve à la réalité en quittant Montréal, il y a près d’un an et demi, pour s’installer à Bordeaux, dans le sud-ouest de la France. La créatrice de contenu qui se distingue dans l’univers de la mode et du voyage se remémore le grand saut avec humour et un brin de nostalgie: «Quand tu travailles dans la mode, tu t’imagines forcément que la France est l’endroit où vivre. Toutes les grandes maisons de luxe sont en Europe. Peut-être que j’idéalisais aussi un peu le style de vie que j’aurais ici; la campagne provençale, avoir mon propre potager, m’éloigner des hivers rigoureux du Québec.»

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Progressivement, Sarah s’adapte à sa nouvelle réalité et découvre la véritable essence de la vie à l’européenne, où la mode se révèle effectivement être un pilier central. «Ce n’est pas faux, l’idée selon laquelle les Français s’habillent bien. J’ai remarqué qu’ici, les gens accordent de l’importance aux petits détails qui font le charme de leur tenue, font des efforts pour bien agencer leurs vêtements et sont très souvent élégamment habillés, que ce soit pour aller au spinning ou pour faire leurs courses à l’épicerie. Soigner son apparence est très valorisé», observe-t-elle.

@saritcohen_
@saritcohen_

Même constat du côté de Sarit Cohen, Torontoise d’origine qui pose ses valises à Copenhague en 2021. Elle vient de décrocher un poste chez Cecilie Bahnsen, une luxueuse maison de mode danoise au confluent de la haute couture et du prêt-à-porter. «Depuis mon arrivée au Danemark, mon style a tellement évolué! Je réalise que je suis très influencée par mon environnement. Il y a un tel sens du style ici! C’est évident que les gens accordent une grande importance à leur apparence et au design en général.»

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Ainsi, l’idée nord-américaine selon laquelle bon nombre d’Européens posséderaient un sens inné du style semble transcender les simples clichés de la Parisienne vêtue d’une marinière, baguette sous le bras. Second constat: non seulement l’admiration pour la mode à l’européenne est palpable, mais l’envie de reproduire ses codes se fait sentir. En effet, une simple recherche sur Google avec la requête «Comment s’habiller comme un Européen et éviter d’avoir l’air d’un touriste» fait apparaître des milliers d’articles. Sur le réseau social TikTok, le hashtag #Europecore cumule désormais des millions de vues.

«Les grandes villes de la mode ont la réputation d’être des pionnières en matière de tendances, mais maintenant que tout est numérique, les cycles s’accélèrent considérablement et ce ne sont plus seulement les fashion weeks et les magazines qui dictent les tendances. Cependant, l’attrait pour la mode à l’européenne, lui, persiste indéniablement», résume Sarit.

La montée de l’Europecore

Dans un article publié par le média américain Nylon en mai 2023, intitulé ​​The Rise of «Europecore» Is Peak American Escapism, la journaliste américaine Laura Pitcher définit l’Europecore comme la tendance à «arborer des vêtements coquets et frivoles qui évoquent l’ambiance des vacances, mais qu’on ne porterait pas nécessairement au quotidien». En d’autres termes, il s’agit de s’habiller selon notre vision idéalisée des vacances européennes plutôt que de réellement suivre les tendances locales. Marie-Michèle Larivée, chargée de cours à l’École supérieure de mode de l’ESG UQAM, renchérit: «Sur les réseaux sociaux, j’ai observé des personnes qui, en utilisant le hashtag #Europecore, faisaient leurs valises comme si elles allaient en Europe, alors qu’elles n’y vont pas réellement.»

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@paigeesmithers I had so much fun doing this that i had to make a part 2. Let me know if you want more of these and what type of outfits you want to see this summer!! #eurogirlsummer #europeansummer #europeanfashion ♬ original sound - paigeesmithers

Cette petite lubie nous offre une deuxième piste de réflexion, plus profonde celle-là: avons-nous réellement un penchant pour la mode européenne et son héritage ou est-ce plutôt un désir d’évasion de notre quotidien qui guide nos impulsions? Marie-Michèle penche en faveur de la seconde hypothèse. Elle explique qu’avec les vagues de chaleur que l’Europe a connues ces dernières années, les crises sociales et le climat économique instable, il est légitime de se demander si le mode de vie européen est véritablement enviable. «D’un côté, les voyages étaient impossibles pendant la pandémie et, de l’autre, la nostalgie et le désir d’évasion sont des marqueurs de tendances importants. Cette combinaison illustre donc fort probablement la montée de ce mouvement tourné vers l’outre-Atlantique.»

Difficile également d’aborder l’Europecore sans faire état de ses angles morts. «Chaque région d’Europe a une interprétation distincte de ce qu’est le style, alors que cette vision fantasmée de la mode à l’européenne n’atterrit dans aucun pays», souligne Marie-Michèle. Elle ajoute: «Il s’agit d’une esthétique qui peut être assez restrictive, où la peau blanche et les corps élancés et filiformes sont des facteurs presque tenus pour acquis.» Ainsi, l’essoufflement de l’Europecore est inévitable, ne serait-ce que par sa propre sémantique qui la prédispose à une évolution transitoire. Le suffixe «-core», associé aux tendances éphémères qui vivent et qui meurent sur les réseaux sociaux, laisse nécessairement présager un destin funeste, note la chargée de cours. Ce qui perdure, c’est donc le noyau de la mode européenne: son histoire, son savoir-faire.

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Une question de traditions

Launchmetrics Spotlight
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Des «Big Four», ces capitales de la mode qui dominent l’industrie partout dans le monde, trois se situent en Europe: Paris, Londres et Milan (New York est la quatrième), et ce n’est pas le fruit du hasard. Pour illustrer le phénomène, Marie-Michèle Larivée compare la culture de la mode en Europe à la culture du hockey, telle qu’on la connaît au Québec. Seulement, l’histoire, du côté de l'Europe, remonte au début du 12e siècle, une époque où la France et l’Italie médiévales font fleurir de nouvelles tendances, grâce aux échanges commerciaux en développement.

Au 19e siècle, on assiste au tout premier défilé de l’histoire de la couture en France, alors que le créateur français d’origine britannique Charles Frederick Worth fait défiler ses modèles sur de vraies mannequins devant une clientèle de femmes aisées. La table est mise pour qu’à partir des années 1900, l’Europe devienne le berceau de la haute couture. Des noms légendaires, comme Coco Chanel, Christian Dior et Yves Saint Laurent, émergent alors et continuent de briller de nos jours, leur savoir-faire passant de génération en génération.

AFP
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«Le système de la mode international est fondé sur le savoir-faire européen», explique Marie-Michèle Larivée. Non seulement les techniques de production locales sont transmises de manière intergénérationnelle, mais elles sont également hautement valorisées, et parfois même exclusives à certaines régions. Sarit Cohen, qui partage cet avis, va plus loin en évoquant le patriotisme européen. Au-delà des aspects économiques et techniques associés à cette industrie florissante, elle souligne que la fierté entourant cet héritage contribue à perpétuer le mythe. «Le design est profondément enraciné dans la culture. Dès leur plus jeune âge, les gens apprennent à reconnaître le savoir-faire, à investir dans le design, et ça se reflète jusque dans la mode.»

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Quand on lui demande de faire un parallèle avec le patrimoine culturel nord-américain, Marie-Michèle Larivée nous invite à comparer des pommes avec des pommes. «Les racines de la mode occidentale sont en Europe. L’héritage est donc indissociable», juge-t-elle.

Peu, mais mieux

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Bien que chacune des intervenantes interrogées ait souligné que l’attrait des marques de mode éphémère, telles que Zara et H&M, est bien présent chez nos cousins, le désir d’une consommation plus consciente est omniprésent, elle qui place la qualité, la durabilité et le sens des traditions au cœur des valeurs véhiculées.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Selon Eurostat, en 2019, les ménages français dépensaient en moyenne 570 € (environ 830 $ CA) par an pour se vêtir et se chausser. Au Québec, on parle plutôt d’un montant s’élevant approximativement à 2300 $ pour la même année.

À ce sujet, Sarah Babineau soulève immédiatement la question du crédit dans son pays d’accueil. «Les cartes de crédit telles qu’on les connaît au Québec n’existent pas ici, à moins d’avoir un énorme salaire.» Ainsi, aucun de ses amis ne vit à crédit, ne serait-ce que pour acheter une voiture ou des vêtements. «J’ai l’impression que ça a inévitablement un impact sur la façon dont les gens consomment. Tout est plus lent, au jour le jour.»

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Comme point sous-jacent à cette observation, Marie-Michèle Larivée souligne l’importance de la culture du seconde main, mais avec une nuance importante: moins axé sur la recherche de bonnes affaires qu’en Amérique du Nord, elle privilégie la valeur et la qualité des pièces. En Europe, notamment en Italie, les articles de seconde main ne sont pas vus comme des déchets textiles, mais plutôt comme des morceaux prisés à chérir et à transmettre de génération en génération. «Il est bien vu d’acheter un vêtement en sachant qu’on le passera à la génération suivante», résume-t-elle. Ainsi la mode devient un héritage, une histoire à partager plutôt qu’une simple tendance éphémère. La réalité est bien loin de l’Europecore, donc. Et l’on peut s’en réjouir.

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