Militarisation de l'Arctique: le dernier peuple autochtone d'Europe menacé
Le Journal s'est rendu dans l'Arctique suédois à la rencontre des Samis pour savoir ce qu'ils pensent du boom militaire et industriel sur leur territoire


Anne Caroline Desplanques
KIRUNA | Les Samis, le dernier peuple autochtone d’Europe, qui habitent l’Arctique scandinave et la péninsule de Kola à l’ouest de la Russie, voient d’un très mauvais œil le regain d’intérêt des industriels et des militaires pour leur territoire.
Toute cette activité humaine se passe «dans les pâturages et sur les routes de migration des rennes», s’inquiète l’activiste Matti Blind-Berg, éleveur de rennes et chef du Girjas Samebyhe, organisation qui regroupe les éleveurs samis.

Lors de notre entretien à Kiruna, l’armée suédoise et les Marines américains s’entraînaient justement dans des pâturages ancestraux. Mais les Samis en avaient été à peine informés.
«Quand les Forces armées débarquent sur nos terres, elles font ce qu’elles veulent sans demander aucune permission», déplore l’ex-député du Parlement sami suédois, le Sametinget.
Il craint que ce soit encore pire si la Suède est admise au sein de l’OTAN, comme elle l’espère, car ici, contrairement au Canada, aucun mécanisme n’oblige l’État ou les industriels à consulter les autochtones avant d’entreprendre les projets sur leur territoire qu’ils nomment Sápmi, plutôt que Laponie.
Culture millénaire en péril
Or, toute la culture de ce peuple autochtone, fondée sur la communion entre les hommes et la nature, est mise en péril par l’accroissement de l’activité humaine qui les fait disparaître à petit feu. Ils ne sont plus que 100 000 répartis de la Norvège à la péninsule de Kola, en Russie, dont quelque 20 000 en Suède.

L’activité humaine est synonyme de fragmentation du territoire, explique M. Blind-Berg, dont la famille est installée dans l’Arctique scandinave depuis des millénaires.
Avec l’intensification de l’exploitation industrielle, les grandes forêts intactes sont rasées, les pâturages sont ravagés et les prédateurs remontent chaque jour un peu plus vers le nord, menaçant la survie des faons.
Changements climatiques
Quant aux mines, qui se présentent aujourd’hui comme essentielles à la transition verte, elles dopent les changements climatiques, souligne M. Blind-Berg.
«La transition n’est définitivement pas verte. Pour moi, elle est plutôt noire et grise, grogne l’éleveur. Pour l’amour de notre planète, nous avons besoin d’une transition, mais pas une transition qui est pilotée par l’industrie comme ce qu’on voit ici en ce moment.»

Les rennes souffrent déjà des changements climatiques qui rendent «les hivers de plus en plus étranges», fait-il remarquer. Les températures jouent au yoyo et le couvert de neige est de plus en plus épais. Si bien que «c’est de plus en plus difficile pour eux de trouver de la nourriture».
Pour M. Blind-Berg, tout ceci n’est qu’un chapitre de plus de la colonisation qui afflige son peuple depuis des siècles.
*Ce reportage a été réalisé grâce à une bourse du Fonds québécois en journalisme international.