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L'article provient de Le Journal de Montréal

Microbiote et santé: nouvelles avenues thérapeutiques

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Photo portrait de Isabelle Huot

Isabelle Huot

2022-06-05T22:10:05Z
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Le microbiote intestinal – autrefois appelé flore intestinale – occupe une place importante dans la santé des individus. Médecin, titulaire d’un doctorat, professeur de nutrition au CHU de Rouen en France, le Dr Pierre Déchelotte y consacre ses recherches et dirige le laboratoire INSERM « Nutrition, Inflammation et dysfonctionnement de l’axe intestin-cerveau ». Nous avons discuté avec ce chercheur de renommée internationale.


Dr Déchelotte, pourquoi appelle-t-on l’intestin le deuxième cerveau ?

Si l’intestin est le deuxième cerveau, le microbiote est le troisième cerveau. Ce troisième cerveau est situé à l’intérieur du deuxième cerveau, et tous deux parlent au premier, celui du haut ! 

Depuis une trentaine d’années, nous avons mis en évidence que dans notre tube digestif, il y a énormément de neurones, ce qui explique pourquoi nous avons parlé il y a déjà 20 à 25 ans de deuxième cerveau. Mais c’est encore bien plus compliqué que cela. 

Nous connaissons bien les cellules qui absorbent les aliments, mais il y a également beaucoup de cellules immunitaires qui jouent un rôle dans la régulation de la barrière intestinale. Il y a des cellules endocrines qui produisent de nombreuses hormones qui jouent des rôles importants dans la régulation de la faim et de la satiété, mais aussi dans la régulation de la motricité et de la sensibilité digestive. Tous ces types cellulaires communiquent entre eux. 

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Ce cerveau intestinal, il faut donc le comprendre comme quelque chose de plus global. 


Vous avez étudié les troubles alimentaires, notamment l’anorexie mentale, en lien avec le microbiote. Le développement d’un trouble alimentaire pourrait donc partir du microbiote ?

Nous avons accumulé depuis 15 ans toute une série de publications pour suggérer qu’une partie du mécanisme de l’entretien, voire du déclenchement de l’anorexie, ou peut-être d’autres troubles du comportement alimentaire comme l’hyperphagie ou la boulimie, pourrait être liée à un déséquilibre du microbiote. 

Il y a bien un dysbiose, un déséquilibre important du microbiote, dans l’anorexie mentale. Dans la boulimie, les données sont encore très limitées, mais nous allons publier prochainement de nouveaux résultats. Dans l’hyperphagie boulimique, qui conduit à l’obésité, nous sommes au début de l’histoire : nos collègues belges ont rapporté récemment que le microbiote des patients compulsifs n’est pas le même que celui des patients non compulsifs. 

Nous avons aussi beaucoup travaillé sur certaines protéines bactériennes qui seraient capables de réguler la prise alimentaire.


Vos recherches ont pu démontrer qu’une souche de probiotiques, maintenant commercialisée en France, avait un effet favorable sur la satiété et la perte de poids. Pouvez-vous m’en parler davantage ?

En quelques années, nous avons pu montrer, effectivement, d’abord sur des modèles animaux, puis par une étude clinique chez l’homme, que la souche Hafnia alvei HA 4597 a un effet renforçateur de la satiété et favorise la perte de poids chez des personnes en surpoids modéré. 

Toutefois, il ne s’agit pas d’un traitement de l’obésité, mais d’un complément alimentaire qui vient renforcer les mécanismes naturels de satiété. Nous continuons à chercher d’autres modulateurs du microbiote qui pourront être utiles en nutrition. Les souches Hafnia alvei HA4597 et Lactobacillus plantarum WJL (intéressante pour la croissance et la renutrition) sont déjà commercialisées en France et certains pays d’Europe par notre start-up TargEDys et le laboratoire Biocodex. Pour les autres, il faudra attendre encore un peu. 

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Est-ce que l’amélioration du microbiote peut contribuer au rétablissement des personnes souffrant d’hyperphagie ?

Ce que nous disons actuellement chez un patient hyperphage, c’est qu’il faut d’abord essayer de comprendre les mécanismes qui ont conduit à l’hyperphagie. Il y a souvent des stress majeurs, des troubles anxio-dépressifs ou d’autres troubles compulsifs. Nous allons d’abord traiter le comportement alimentaire par des thérapies cognitivocomportementales, par de la rééducation alimentaire et éventuellement par des médicaments, notamment les sérotoninergiques, comme la fluoxétine et la sertraline, qui fonctionnent assez bien sur les troubles compulsifs. 

Mais tous les patients ne répondent pas à ces traitements relativement classiques. Il faut donc aussi rééduquer le microbiote, et la meilleure rééducation passe d’abord par le biais de l’alimentation. Si nous arrivons à calmer les compulsions, qui sont en général sur des aliments gras et sucrés, nous allons réduire le déséquilibre de l’alimentation et progressivement corriger la dysbiose. Par exemple, en réduisant les sucres et les graisses, et en augmentant les fibres, nous allons favoriser certaines espèces, comme celles qui produisent du butyrate, et nous allons réduire un certain nombre d’autres espèces qui, elles, sont dépendantes d’un apport massif de gras, et donc, à terme, nous rééduquons le microbiote d’abord par l’alimentation. Mais cela ne suffit pas toujours, d’où l’intérêt d’une intervention plus directe avec certains probiotiques bien spécifiques et à l’efficacité évaluée.


Vous arrivez d’un congrès international sur les prébiotiques. Quelles sont les nouveautés à ce sujet ?  

Effectivement, le congrès PROBIOTA 2022, qui vient de se tenir à Copenhague, a permis de rassembler 400 chercheurs et industriels du monde entier pour faire le point sur les avancées récentes. C’est un domaine en forte expansion. Le contrôle du poids reste un enjeu important, et nos travaux ont fait l’objet d’une conférence plénière, comme d’ailleurs les développements passionnants de l’équipe de Patrice Cani (Belgique) sur Akkermansia Muciniphila, une autre souche qui semble très intéressante pour limiter le risque de diabète. 

Il y a eu aussi beaucoup de communications sur la modulation du stress, de l’anxiété, par le microbiote et certains probiotiques. Bref, le microbiote n’a pas fini de nous étonner !


Que pensez-vous des kits d’analyse du microbiote ?

Actuellement, ce qui circule comme analyse de microbiote disponible de façon commerciale n’est pas satisfaisant. [...] Mais c’est un domaine qui évolue très vite, et une nouvelle génération de tests plus pointus et surtout mieux accompagnés sur le plan médical devrait prochainement voir le jour. Nous y travaillons également.


♦ Pour tout savoir sur le microbiote, on peut se procurer un ouvrage collectif auquel le Dr Déchelotte a participé en plus d’autres experts européens.

♦ Microbiote intestinal et santé humaine Jean-Michel Lecerf, Nathalie DELZENNE Éditions Elsevier

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