Meurtre : 40 ans plus tard, un délateur revient sur sa version
Son complice a récemment passé un polygraphe

Marc Sandreschi
Un ex-tueur à gages du clan Cotroni devenu délateur vedette, qui a aidé à faire condamner son complice pour un meurtre prémédité, admet 40 ans plus tard l’avoir « coaché » pour commettre le crime.
Novembre 1983. Réal Simard et Richard Clément font irruption dans la chambre 345 de l’hôtel Seaway à Toronto.
Munis d’armes de poing, les complices font feu sur deux rivaux qui frayent dans le monde de la boxe et du trafic de stupéfiants. Mario Héroux est tué sur le coup, et Robert Hétu survivra miraculeusement après avoir été atteint de trois balles à la tête.
Quatre décennies après ce crime qui a fait la manchette au Québec, notre Bureau d’enquête a découvert des faits troublants qui apportent un éclairage nouveau sur ce qui se serait vraiment produit dans les jours qui ont précédé cette violente agression.
« Je l’ai coaché »
« J’ai tiré et je ne me le pardonnerai jamais. Mais l’histoire ne s’est pas entièrement passée comme Réal Simard l’a racontée », affirme Richard Clément.
L’homme aujourd’hui âgé de 70 ans, s’est confié à nous dans une série de rencontres depuis le printemps dernier. Celui qui a passé 17 ans derrière les barreaux affirme qu’il a bel et bien participé à l’assassinat de Toronto, mais soutient que ce n’est pas lui qui l’a planifié. Selon lui, l’instigateur était Réal Simard, devenu par la suite délateur.
Ce que Simard n’a pas nié lorsque nous l’avons finalement joint au téléphone, à notre sixième tentative pour obtenir sa version des faits.
« C’est sûr que c’est moi qui menais. Je l’ai coaché. Il ne connaissait rien là-dedans », nous a-t-il affirmé, un brin arrogant et après avoir qualifié Richard Clément de personnalité « faible ».

« Mal au cœur »
Clément, qui avait 29 ans au moment du meurtre, soutient qu’il a été forcé à commettre le crime.
« C’est certain que j’avais peur qu’il me tue », confie-t-il, assis dans sa cuisine, au sujet de Simard.

« J’en avais mal au cœur. J’ai enlevé ma fausse barbe, ma grosse moustache et mes gants et j’ai dit à Simard que je n’étais pas capable de faire ça », nous a-t-il confié avec beaucoup de regrets.
Il explique avoir tenté de rebrousser chemin, mais Simard l’aurait rattrapé et ramené de force jusqu’à la porte de la chambre, où le drame s’est produit quelques secondes plus tard.
Simard et Clément ont alors fait irruption dans la chambre de l’hôtel où Mario Héroux et Robert Hétu se trouvaient. Ces derniers les attendaient paisiblement, pensant réaliser ce jour-là une transaction de drogue.
Réal Simard a été arrêté dès le lendemain du drame. À son grand dam, Robert Hétu l’avait identifié depuis son lit d’hôpital, la mâchoire qui pendait, après avoir été atteint en pleine bouche. Il avait simplement écrit sur un bout de papier : « Simard ».

Clément, lui, prit la poudre d’escampette. Une cavale qui le mena jusqu’au Liban où la guerre sévissait. Il y vécut trois ans avant de se livrer à la police. Il venait d’apprendre que Simard s’était mis à table en basculant dans le camp des délateurs.
Cinq meurtres
En échange de sa collaboration, Simard a bénéficié de meilleures conditions de détention, ainsi que d’une libération conditionnelle anticipée. Il a ainsi mis un terme à sa carrière de tueur à gages, en confessant avoir commis cinq meurtres au profit du clan Cotroni.
Clément, lui sera condamné pour meurtre prémédité, le crime le plus grave du Code criminel. Lors de son procès en 1988, le délateur Simard a prétendu qu’ils agissaient d’égal à égal, selon les transcriptions judiciaires que nous avons consultées.
« C’était un plan qu’on a fait ensemble [...] Il était totalement en accord », avait indiqué Simard sous serment, tout en reconnaissant avoir menti à son propre procès quatre ans plus tôt en étant questionné sur un alibi qu’il avait fourni.
Polygraphe
En avril 2023, Richard Clément, déterminé à faire la paix avec son passé, s’est soumis à un test polygraphe administré par Jacques Landry, ancien polygraphiste-expert de la Sûreté du Québec, qui travaille maintenant dans le domaine privé.

« Avez-vous menti sur quoi que ce soit [concernant] votre implication lors du meurtre [...] ? Cachez-vous des informations [concernant] votre rôle avec Simard [...] ? Mentez-vous en disant que vous avez été complètement contrôlé et manipulé par Réal Simard [...] ? »
À ces trois questions, Clément a répondu non.
Et le verdict du polygraphiste est sans équivoque : « Suite à l’examen polygraphique, monsieur Clément fut informé que l’analyse [...] démontrait clairement qu’il [disait] la vérité », peut-on notamment lire dans le rapport de Jacques Landry daté du 20 avril dernier.
Selon l’expert, le polygraphe, même s’il n’est pas admissible en cour, est un très bon outil pour déterminer l’honnêteté d’une personne (voir texte plus bas).
Coup monté
Gilles Daudelin, l’avocat qui avait défendu Clément à l’époque, a toujours été convaincu que Simard avait piégé son client. Dans un contre-interrogatoire très serré lors du procès en 1988, il a tenté de démontrer, sans succès, que Clément avait été victime d’un coup monté.
Selon lui, Réal Simard souhaitait à l’époque prendre le contrôle de l’agence de placement de danseuses nues que gérait Clément, et s’implanter à Toronto dans le lucratif marché noir de la drogue.
Il avait donc fait croire à Clément, qui avait une dette d’argent, qu’Hétu et Héroux étaient à Toronto pour le tuer, ce qui était faux. Clément avait effectivement une dette de quelques centaines de dollars qu’il n’avait pas remboursée au caïd et promoteur de boxe George Cherry, mais rien pour se faire exécuter.
Simard prétendit donc qu’il fallait tuer Hétu et Héroux avant, selon son témoignage.
Le délateur a même expliqué à la cour qu’il avait pris le chemin de Montréal afin de raconter la même fausse histoire à Frank Cotroni et ainsi obtenir sa permission de liquider les deux hommes de main du promoteur de boxe.
Il a également livré cette version fabriquée de toutes pièces à l’interrogatoire policier, dans la période où il devenait délateur.
Plan meurtrier
Devant la cour, Simard a prétendu qu’il s’était trompé sur la version qu’il a donnée aux policiers, toujours selon les transcriptions judiciaires. Un témoignage que l'ancien avocat Daudelin qualifie aujourd’hui de « truffé de mensonges ».
D’autant plus que le meurtrier devenu délateur avait lui-même fourni une arme à feu à Mario Héroux, l’un des deux hommes visés par les complices du clan Cotroni.

« Dans le meilleur des mondes, Héroux aurait abattu Clément [le jour du drame]. Simard aurait [ensuite] complété son plan meurtrier en tuant les deux hommes de main du promoteur de boxe », révèle en entrevue l’ancien avocat de Richard Clément.
Réal Simard ne réussira finalement jamais à mettre son plan à exécution. Son rôle de délateur contribuera cependant à planter un dernier clou dans le cercueil du clan Cotroni au Québec, qui était déjà affaibli par la montée de la famille mafieuse Rizzuto.
Taux d’échec de 70 %
Si Richard Clément a réussi le test du polygraphe, plus de 70 % de ceux qui se soumettent à un tel exercice y échouent, affirme le polygraphiste Jacques Landry.
Au cours de sa carrière, M. Landry a passé au peigne fin la version de plus de 7000 personnes, dont près de la moitié lorsqu’il était à l’emploi de la Sûreté du Québec.
« Les meurtriers savent très bien s’ils l’ont commis ou pas. Certains veulent juste tester la machine. Pour eux, c’est un défi », explique-t-il.
Il ajoute que plusieurs éclatent de rire en apprenant qu’ils ont échoué à cet exercice. « C’est une réaction classique. Une forme de déni. »
D’autres se mettent à crier ou encore à pleurer, principalement dans les cas de crimes sur les enfants. « C’est le choc. La prise de conscience. Les regrets », a-t-il constaté au fil de sa carrière.
Il a aussi reçu plusieurs aveux. Un meurtrier lui avait révélé l’emplacement de chaque morceau d’un corps qu’il avait découpé.
Au Canada, les résultats du polygraphe ne sont pas admissibles dans un procès criminel. Pour Jacques Landry, le polygraphe demeure donc une technique d’enquête, qui permet d’orienter les policiers.
Il précise que certains facteurs peuvent influencer les réactions d’une personne, notamment leur santé, leur niveau de stress ou encore un état dépressif.
À contrario, la justice criminelle belge admet le polygraphe en cour. Jacques Landry a eu à interroger plus de 400 personnes dans ce pays européen.
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