Mémoire d’horreur

Claude Villeneuve
Beaucoup de gens à Québec ont dû avoir le même genre de soirée, samedi.
Lancer des bonbons aux petits monstres, et puis baisser les lumières et regarder un film ou une série qui donne des frissons. Puis, en sortant le sac de vidanges, entendre le son lointain des sirènes de véhicules de police.
Dans le Vieux-Québec, quartier carte postale anormalement tranquille depuis quelques mois, c’est le reflet des gyrophares sur les vieux murs qui plantaient le décor. Pour les victimes, les témoins qui leur ont porté secours ou les premiers répondants, ce sont des souvenirs indélébiles qui pourront toujours surgir pour les ramener dans l’horreur.
Nous sommes nombreux à ne pas avoir dormi de la nuit, derrière nos portes barrées.
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Vivre et laisser vieillir
C’est la deuxième fois en si peu de temps que la violence absurde et irrationnelle frappe notre cité. Des histoires distinctes, certes. Des victimes au récit différent, évidemment.
Chaque fois, toutefois, la silhouette diaphane d’un jeune homme défectueux qui inflige sa violence mal soignée à des gens qui n’ont rien fait de pire que de vaquer à leur quotidien, leur enlevant leur droit de vivre et laisser vieillir. Pour notre imaginaire collectif, des scènes dignes d’un des films que nous regardons pour l’Halloween. Chaque fois, une balafre sur le visage d’une ville fière de sa beauté et de sa réputation sécuritaire, paisible, accueillante.
Le Vieux-Québec, c’est évidemment la première image que les gens de l’extérieur ont de notre ville quand ils y pensent. Pour les locaux, c’est un lieu dont on se dit toujours qu’on ne le visite pas assez souvent lorsqu’on se donne la peine de le faire. Beaucoup de mariages ont lieu dans ce coin-là, chaque été, mais ils ont été annulés cette année. C’est le cas du mien.
On se demandait quand on y retournerait. Concrètement, ce n’est pas vraiment le cas, mais dans notre ressenti, on dirait que le retour à la normale est un peu plus hors d’atteinte.
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2020 mesquin
Les lieux peuvent-ils guérir des drames qui s’y déroulent? Pourra-t-on de nouveau déambuler sur les rues du Trésor ou des Remparts sans repenser au sang qui y a coulé? Le faut-il, de toute façon? La mémoire a ses droits, même quand elle charrie l’horreur.
La violence meurtrière est un viol. Chaque fois, elle change l’idée qu’on se fait de l’endroit où elle s’est déroulée.
Jamais une collectivité n’a besoin d’une telle tragédie. Jamais le récit d’une seule personne ne devrait être ponctué d’une agression aussi horrible que celle qu’ont connue les victimes ce samedi.
Reste qu’en cette année 2020 qui nous avait jusqu’ici épargné bien peu de mesquineries, cette pleine Lune de l’Halloween aura infligé à Québec une autre blessure qu’elle ne méritait pas et avec laquelle elle devra apprendre à composer.