«Mégantic»: une série magistrale


Guy Fournier
J’espère que Mégantic marquera une date dans l’histoire de notre télévision.
La série est magistrale. Quasiment impossible à quitter. Les huit épisodes sont accrocheurs sans être racoleurs. La réalisation est impeccable. Les effets spéciaux sont crédibles. Les dialogues sont justes. La musique thème nous chavire le cœur, comme celle de la série L’amie prodigieuse. Quant à la distribution, Dieu merci ! elle nous épargne les visages qu’on voit dans trop de séries. Les personnages de Mégantic sont d’autant plus attachants qu’on a l’impression de découvrir les unes après les autres les victimes mêmes de la tragédie ferroviaire.
Enfin — c’est loin d’être négligeable —, la série étant à l’affiche du Club illico, elle n’est pas interrompue toutes les 12 ou 15 minutes par une multiplicité de messages publicitaires disparates et insignifiants. Je m’en confesse, c’est avec appréhension que j’ai décidé de consacrer mon dimanche à Mégantic. Déformation professionnelle sans doute, je craignais que les entrevues prudentes de Sophie Lorain avant la diffusion et les nombreuses mises en garde à l’intention des téléspectateurs — ceux de Mégantic en particulier — ne soient qu’une astuce de promotion.
DES CRÉATEURS D’EXPÉRIENCE
Oui, la série est dure ! Oui, elle remue les tripes, mais elle transpire l’humanité et la compassion. À aucun moment, on n’a l’impression qu’une seule scène, une seule image ou une seule réplique est là juste pour tirer les larmes ou pour jouer avec notre émotion. À qui doit-on ce difficile équilibre, ce rare respect de la vérité et des victimes de la tragédie ? À Sophie Lorain, la productrice ? Je ne la connais pas beaucoup personnellement, mais elle m’a toujours paru posée, réfléchie et modeste. À Sylvain Guy ? Il s’est toujours effacé devant ses scénarios, et sa longue expérience d’écriture lui a inculqué un sens aigu du dialogue (et des silences) québécois.
Il n’y a pas à proprement parler de « têtes d’affiche » dans l’imposante distribution de Mégantic. Alexis Durand-Brault, d’abord directeur photo avant d’être réalisateur, dirige chacun avec doigté et rend chacun vraisemblable.
La première leçon qu’il faut tirer de Mégantic, c’est l’importance de confier tout projet de série « lourde » (comme on dit dans le métier) à des auteurs, des producteurs et des réalisateurs d’expérience. Et puis, il faut un financement à la hauteur du projet. Pour Mégantic, Québecor et Vidéotron ont compris le message. L’argent n’est pas toujours un gage de réussite, mais les budgets de misère le sont encore moins.
UN EXEMPLE À SUIVRE
J’ai souvent écrit que nous produisons trop de séries. Là-dessus, Radio-Canada est une véritable machine à saucisses. Il ne se passe pas une semaine sans que je reçoive de Radio-Canada un communiqué annonçant une nouvelle série pour Ici première, pour Tou.tv, pour l’exécrable Tou.tvExtra, ou pour Véro.tv. Le diffuseur public a de l’argent plein les poches.
Jamais l’offre télévisuelle n’a été aussi extravagante. Même en regardant la télévision vingt-quatre heures par jour, on n’arriverait pas à épuiser le répertoire qui nous est offert. Aucun de nos réseaux n’a donc intérêt à y ajouter des séries bas de gamme ou tellement « nichées » qu’elles n’intéressent qu’une faible minorité.
D’ici un an ou deux, les grandes plateformes étrangères comme Netlix, Disney, YouTube et les autres devraient commencer à contribuer à la création de contenu canadien. Comme le font depuis des années nos câblodistributeurs. Souhaitons que ces sommes supplémentaires ne fassent pas seulement gonfler le nombre de séries médiocres qui nous affligent déjà. Que Mégantic devienne l’exemple à suivre !