Marthe Laverdière célèbre 47 ans d’amour avec «Minou»
Carolyn Richard
Une rencontre avec Marthe Laverdière, c’est un plaisir garanti, car non seulement elle sait nous faire rire, mais elle nous amène aussi à réfléchir. Et quand l’horticultrice se met à nous parler de son Minou, l’homme de sa vie, elle nous émeut profondément.
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Marthe, tu nous présentes ton 10e livre, De la graine à la table. Il contient de judicieux conseils de jardinage et de belles recettes du terroir, et il est magnifique.
Merci! J’ai vraiment aimé écrire ce livre-là et je suis présentement en train d’écrire le 11e, qui sera un roman, alors je n’ai pas fini d’écrire! (rires)
Je me trompe ou tu t’es donné comme mission de faire l’éducation alimentaire des Québécois?
Honnêtement, c’est un peu ça. Le but de mon livre est simple: je sens qu’il y a une urgence à apprendre comment se nourrir. J’aurai 62 ans le 23 mars et en vieillissant, je m’aperçois que j’ai beaucoup de choses à dire et à communiquer. C’est vrai que je veux montrer aux gens comment être le plus possible autosuffisants. Présentement, ça va mal dans le monde, on vit une période d’insécurité économique. Si, par malheur, la chaîne alimentaire lâchait demain matin, ce serait l’horreur, car il y a trop de gens qui ne sont pas prêts pour ça.
Tu as raison. Crois-tu que la pandémie ait tout de même sensibilisé la population à l’importance d’être plus indépendant sur le plan alimentaire?
Oui, c’est vrai. Au début, j’ai vu plusieurs personnes s’initier au jardinage. Elles ont appris à faire des potagers, à cuire du pain, etc. Mais dès que les mesures sanitaires se sont relâchées, beaucoup ont tout lâché pour revenir à leurs anciennes habitudes de consommation et ont recommencé à acheter du prêt-à-manger.
C’est vrai que l’engouement s’est calmé.
Oui, malheureusement. Nos parents, nos grands-parents et nos ancêtres faisaient tout eux-mêmes. Avec des familles nombreuses, ça en faisait, des bouches à nourrir! Là, je ne veux pas être alarmiste, mais j’encourage simplement les gens à poursuivre leurs apprentissages pour devenir le plus possible autosuffisants. Il y a beaucoup de fierté et un grand plaisir à se nourrir soi-même.
Et au Québec, on a de vrais beaux produits.
Absolument! À l’automne, quand c’est le temps des récoltes, ça ne coûte vraiment pas cher et il faut en profiter. C’est l’abondance, alors c’est le temps d’acheter de grandes quantités et de se faire des réserves. Faites blanchir vos légumes et gardez-les au congélateur, faites vos propres confitures, vos conserves: vous en aurez pendant des mois! Chaque année, même s’il y a seulement Minou et moi à la maison, je fais mes 350 pots Mason. Je sais très bien que je suis intense! (rires) J’ai évidemment des potagers, mais j’ai aussi mes poules et mes lapins, et comme un de mes fils a repris la ferme familiale, on a notre lait et on fait notre fromage.
As-tu toujours été aussi près de la terre au cours de ta vie?
Oui. Quand j’étais petite, on était pauvres, mais mon père cultivait avec soin plusieurs gros jardins. Il nous avertissait de ne pas courir dans les jardins, car ceux-ci allaient nous nourrir toute l’année. Ma mère est décédée quand j’avais deux ans et mon père n’avait pas les moyens de payer une facture d’épicerie pour nourrir ses six enfants. Alors, toute ma vie, j’ai eu ce grand respect pour la terre et tout ce qu’elle nous donne. On ramassait même les petits fruits du pimbina pour en faire de la gelée et les noisettes qu’on trouvait. J’ai toujours compris que dans ces carrés de terre se trouvait tout ce dont on avait besoin pour manger, et ça m’a suivie toute ma vie.
As-tu transmis ça à tes enfants et tes petits-enfants?
Disons qu’ils ont grandi avec ces valeurs, mais de génération en génération, on perd un peu de ces belles habitudes de s’alimenter soi-même, car la facilité est trop accessible. Quand on y pense, on peut se passer de pas mal tout dans la vie, mais on ne pourra jamais se passer de nourriture, alors pourquoi ne pas mettre un peu plus de temps et de travail là-dessus? Pensez-y, on plante des graines pour avoir des tomates et avec les tomates, on peut faire notre propre sauce tomate, notre ketchup, notre salsa, notre jus de tomates et notre sauce à spaghetti... quoi demander de plus? Et en plus, je prends les graines de ces nouvelles tomates pour mes prochains potagers alors tout est dans tout! (rires)
Tu as absolument raison! Marthe, il y a quelques années, le grand public t’a connue par le biais de tes vidéos d’horticulture hilarantes, qui sont devenues virales. Aujourd’hui, tu es auteure, humoriste, chroniqueuse et j’en passe. Il y a 10 ans, pensais-tu que tout cela pourrait t’arriver?
Ça n’a jamais fait partie de mes projets! Quand je réalise que je suis rendue dans le milieu artistique, ça me rentre dedans comme une roche dans la vitre d’un char qui roule sur la 20. (rires) Faire ce que je fais aujourd’hui, ça n’a jamais été dans mes plans. Ça a commencé par une petite vidéo d’horticulture pour une cliente qui ne filait pas, et... BOUM! c’est parti en fou sur les réseaux sociaux. J’ai suivi le courant parce que je crois fermement que la vie t’amène là où il faut que tu ailles, et je ne pose pas trop de questions non plus, ça m’empêche d’angoisser. (rires)
Quelle belle façon de voir les choses! Ton authenticité est magnifique. Je crois que le public est tombé en amour avec toi à cause de ça: tu es rafraîchissante.
Merci, c’est gentil. Mais tu sais quoi? Je peux affirmer qu’aucun montant d’argent ni qui que ce soit ne pourra m’obliger à être ce que je ne suis pas. J’ai déjà connu autre chose, mais je connais ma valeur aujourd’hui. Rien ne vaut plus que d’être bien avec soi-même. Et je fonce dans ce qu’on me propose en me disant que si ça marche, tant mieux, et que si ça ne marche pas, ce n’est pas grave, car au moins je n’ai tué personne. (rires) J’accepte de ne pas tout savoir et surtout, j’accepte de me tromper — une chance, parce que je me trompe assez souvent! (rires)
Et quand tu parles d’«autre chose», tu parles de quoi, exactement?
Comme plusieurs, j’ai déjà voulu faire beaucoup d’argent, j’ai déjà voulu rester jeune et maintenant, j’ai compris que l’argent, c’est un moyen et non un but, et que vieillir est un grand privilège qui n’est pas donné à tous. Je trouve ça beau, de vieillir. On se connaît mieux, on comprend mieux. Avant ma grosse dépression en 2007, qui a duré quelques années, j’étais tellement différente et très artificielle. J’étais en mode vente tout le temps, donc je sonnais faux. Aujourd’hui, j’aime la personne que je suis et j’aime ce que la vie a mis sur mon chemin.
C’est très inspirant de t’entendre. Tu sembles aimer les défis. Si on te proposait un jour de jouer un personnage dans une série, accepterais-tu?
Probablement, mais à condition que mon personnage ne sacre pas et qu’il n’y ait pas de violence ou de vulgarité.
Et pourtant, tes explications en horticulture ont souvent un double sens, non?
Ah, non! Dans mon métier, quand je parle de graines, je fais allusion aux graines de semence, aux graines de tomates ou de piment, etc. J’aime jouer avec les mots, mais dans la vie, je ne suis pas grivoise. C’est vous autres qui avez l’esprit tordu et qui pensez à autre chose! (rires)
Marthe, tu fais souvent référence à Minou, l’homme de ta vie, ton grand complice qu’on voit avec toi dans les photos de ton livre. Mais qui est Minou, exactement? Quel est son prénom?
(Rires) C’est Sylvain. Quand j’ai commencé à courir après lui à la polyvalente, j’avais 15 ans, lui en avait 17. Je bégayais terriblement. Lorsque sa soeur Lynda m’a dit qu’il s’appelait Sylvain, je savais que ça serait compliqué de prononcer son prénom, parce que les «S», ça fait bégayer quelque chose de rare. Finalement, à notre première sortie ensemble, je n’ai pas prononcé son nom de la soirée... jusqu’à la fin, quand je l’ai appelé Minou. (sourire) Il a aimé ça et c’était donc réglé: depuis, il est devenu mon Minou. (rires)
Et c’est toi qui lui as couru après?
Je comprends donc! Rien n’aurait abouti si je n’avais pas pris les choses en main; il était trop gêné. (rires) Et j’ai tellement bien fait! Ça fait 47 ans qu’on est ensemble, 43 ans de mariage et on a eu trois enfants et huit petits-enfants. Minou, c’est mon âme soeur, parce que Marthe sans Minou, ça ne donne pas grand-chose. Je crois qu’on a tiré le bon numéro, tous les deux.
C’est rare, de nos jours, les belles histoires d’amour comme la vôtre qui durent depuis si longtemps. Et quand tu en parles, c’est beau, car tes yeux pétillent.
C’est certain, il fait partie de moi. C’est fou, mais aujourd’hui encore, quand je vois cet homme-là, il me fait autant d’effet qu’avant. Parfois, il me demande si je le trouve encore beau, et je lui réponds qu’il est et qu’il sera toujours le plus beau à mes yeux. Je connais toutes ses cicatrices et il connaît les miennes, il m’a vue vivre trois césariennes. Si je ferme les yeux, je vois où sont tous ses grains de beauté, et avec les années, j’ai aussi vu apparaître ses rides une à une. Je me suis mariée à 19 ans et mon père m’avait demandé à l’époque si j’aimais Minou au point de rester à ses côtés advenant qu’il tombe gravement malade. J’ai répondu oui franchement. Mon père m’a alors dit: «Ma fille, marie-le et tu vas être heureuse, mais décide de l’aimer tous les matins.» Jusqu’à ce jour, quand j’ouvre les yeux, j’ai toujours cette phrase-là en tête. Mais je vous rassure, même si je décide de l’aimer chaque jour de ma vie, on se chicane aussi en masse, et quelquefois c’est bien simple: je l’étoufferais. (éclats de rire)
Marthe, comment vois-tu la suite des choses?
J’aimerais beaucoup continuer à enseigner aux enfants comment cultiver la terre. Je suis dans la reconnaissance, car j’ai eu une vie remplie de belles choses et je veux passer ce qui en reste dans le plaisir et la joie. Mon rêve serait de finir ça en mode contemplation auprès de ma famille et de la nature et de passer mon temps dans mon jardin avec mes petits animaux et mon beau Minou.

Ne manquez pas Marthe Laverdière en spectacle et en conférence partout au Québec. Son livre De la graine à la table est en vente partout. Pour plus d’informations, www.marthelaverdiere.com. Planter avec Marthe revient à l’antenne de TVA dès avril.