«Marinera» présidentielle au Pérou


Richard Latendresse
Le Pérou est un pays de musique et de danse. Il a aussi été, pendant quelques décennies, un foyer de grave violence politique. Ces dernières années, le pays andin est devenu la patrie de l’instabilité politique. Et cette semaine, on s’est surpassé là-bas.
La « marinera » est une de ces danses traditionnelles péruviennes où, pendant de longues minutes, les danseurs – un homme et une femme – tournent l’un autour de l’autre, s’entre-séduisent, se rapprochent, se collent même, puis s’éloignent dans un claquement de talons et un farouche tapement des mains.
Croyez-moi, on ne se fatigue pas de voir tournoyer les danseurs, qui eux sortent épuisés de leur ronde. C’est ce type de vertige que nous a donné la classe politique péruvienne cette semaine.
Il y a un moment déjà que dure ce tourbillon à la tête de l’État : six présidents en six ans, dont quatre au cours des deux dernières années. Et rien à voir avec la guérilla du Sentier lumineux qui a fait là-bas, dans les années 1980 et 1990, près de 38 000 morts.
PAS FACILE À DIRIGER, LE PÉROU
Cette semaine, Pedro Castillo a été chassé de la présidence et remplacé par sa vice-présidente. Castillo, déjà, était un cas : un enseignant d’école élémentaire de la campagne péruvienne, leader syndical également, qui a remporté de justesse – à la tête d’un mouvement de gauche et d’extrême gauche – l’élection générale du printemps 2021.
Sur 17,6 millions de votes déposés, seulement 44 000 voix le séparaient de son adversaire de droite. Avec, du coup, une légitimité chambranlante, le novice en politique nationale n’a rien fait pour stabiliser les choses, nommant quatre gouvernements différents à l’intérieur de six mois, du jamais-vu dans l’histoire, pourtant mouvementée, du Pérou.
Les choses, par la suite, n’ont fait qu’aller de mal en pis pour lui. Il a été confronté à trois procédures de destitution auxquelles se sont ajoutées six enquêtes pour corruption ou trafic d’influence, des accusations qui pèsent aussi sur des membres de sa famille et de son entourage politique.
UN AUTO-COUP D’ÉTAT RATÉ
Dans un ultime effort pour sauver son poste, Pedro Castillo a annoncé, d’un coup, la dissolution du Parlement, la mise en place d’un « gouvernement d’urgence exceptionnel » et son intention de convoquer un nouveau Congrès, doté de pouvoirs également exceptionnels.
Voyant son putsch ignoré par le Parlement et dénoncé par la classe politique, Castillo a tenté de se réfugier à l’ambassade du Mexique pour y demander l’asile, mais il a été arrêté tout juste avant.
C’est donc sa vice-présidente – une avocate de 60 ans issue du même parti d’inspiration marxiste – qui assume maintenant ses fonctions. Dina Boluarte, première femme présidente du Pérou, a cependant tout un défi devant elle.
Elle a eu beau dénoncer la tentative de coup d’État de son ancien allié, l’opposition montre peu d’empressement à lui accorder la trêve qu’elle demande pour installer un gouvernement d’unité nationale. La danse folle dans laquelle la vie politique péruvienne est engagée ne semble pas prête de s’arrêter.
DINA BOLUARTE
Présidente par accident

- Avocate de 60 ans
- Originaire de la région d’Apurimac, dans le sud du Pérou, elle parle espagnol et quechua, la langue des Incas.
- Politicienne pratiquement inconnue avant d’être élue vice-présidente en 2021.
- Elle est devenue mercredi la première femme présidente du Pérou.
LE PÉROU, TRIOMPHE DE L’INSTABILITÉ POLITIQUE
Six présidents en six ans !
- Pedro Pablo Kuczynski ...de juillet 2016 à mars 2018
- Martin Vizcarra ...de mars 2018 à novembre 2020
- Manuel Merino ...du 10 au 15 novembre 2020
- Francisco Sagasti ...de novembre 2020 à juillet 2021
- Pedro Castillo ...de juillet 2021 à décembre 2022
- Dina Boluarte ...depuis le 7 décembre 2022