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L'article provient de Le Journal de Montréal
Opinions

Marie-Catherine contre Rambo

Les nichons de laine sont tricotés par des femmes dans les RPA pour les survivantes.
Les nichons de laine sont tricotés par des femmes dans les RPA pour les survivantes. Photo courtoisie
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Photo portrait de Emmanuelle Latraverse

Emmanuelle Latraverse

2022-02-06T10:00:00Z
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Pendant que Rambo crie à la dictature sanitaire à Québec, Marie-Catherine se croise les doigts à Montréal.

Pendant que Rambo dénonce le passeport vaccinal, Marie-Catherine se désole de n’avoir jamais eu de vrai choix.

Pendant que Rambo réclame la fin du masque et des restrictions, Marie-Catherine espère seulement que les choses vont se calmer dans les hôpitaux.

Rambo se veut la nouvelle égérie du mouvement des camionneurs. Marie-Catherine est une des dizaines de milliers de victimes collatérales de la COVID.

Plan B

La menace d’une réduction de la qualité des soins de santé a secoué le Québec, mi-janvier. Malheureusement, Marie-Catherine y a goûté dès le printemps dernier.

Constatant une masse au sein au mois de mai, elle a tenté d’obtenir un rendez-vous dans son GMF. Impossible, pas de disponibilités. 

Toutes les deux semaines, pendant tout l’été, cette enseignante en arts plastiques a tenté à nouveau sa chance, sans succès. À l’époque, elle ne voulait pas s’énerver. Ne fallait-il pas faire preuve de patience face à un réseau surchargé ?

Finalement, c’est en septembre qu’elle a laissé tomber les gants. Il aura fallu une menace de poursuite pour qu’elle ait enfin un rendez-vous, avec une stagiaire !

N’empêche, elle a eu sa mammographie le 22 novembre, puis d’autres, et quatre biopsies. 

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Oui, c’était un cancer du sein. Marie-Catherine l’a appris le 23 décembre.  

Il y avait à l’époque 489 personnes hospitalisées avec la COVID au Québec. À l’aube de l’ultime ras-le-bol, on rouspétait contre le Noël à dix. Cette mère d’un bel ado, elle, plongeait dans l’angoisse.

Marie-Catherine a dû choisir : une mastectomie complète rapidement, ou une mastectomie avec reconstruction mammaire, on ne savait pas quand. Celle-ci est une très longue opération, elle exige une deuxième équipe chirurgicale. En pleine cinquième vague, c’était devenu un luxe.

Comme elle le dit avec humour, « une chance que j’ai 48 ans, et non 20. Le choix a été plus facile ! »

Elle a finalement été opérée le 21 janvier, le lendemain du coup d’éclat de la pâtissière de Saguenay contre les mesures sanitaires. Trois mille deux cent quatre-vingt-quinze personnes étaient hospitalisées pour la COVID. Elle a donc été renvoyée chez elle subito presto, sans le suivi habituel. 

C’est à l’urgence qu’elle s’est pointée quand sa plaie s’est infectée.

Solidarité 

Marie-Catherine est presque gênée de raconter son histoire. Elle a peur d’avoir l’air de se plaindre. « Si tu savais comme il y a des femmes qui l’ont pire que moi », dit-elle.

Elle pense à la secrétaire de l’hôpital qui prenait les rendez-vous alors qu’elle était en attente de son propre diagnostic. Elle pense à ces femmes qui ont vu leur radiothérapie repoussée encore et encore.

Pour l’instant, Marie-Catherine retient son souffle. Peut-être qu’elle n’aura pas besoin de radio. Elle attend toujours le verdict. « Les délais sont plus longs. »

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Marie-Catherine ne blâme pas les Rambo de ce monde pour ses déboires. Elle sait bien que les problèmes de notre réseau de la santé délabré dépassent le problème des non-vaccinés.

Mais elle pose une question empreinte de sagesse. 

« Pourquoi ne sont-ils pas capables de mettre de l’eau dans leur vin ? Les restaurateurs l’ont fait, les enseignants l’ont fait, le personnel de la santé le fait tous les jours. La majorité des gens le font. Pourquoi pas eux ? »

Je ne sais quoi lui répondre. 

Faut-il admettre que nous vivons dans une société individualiste, que la solidarité de la première vague était un mythe construit autour de notre peur collective suffisamment longtemps pour nous faire attendre le vaccin ? Sommes-nous enfin victimes de l’incurie qui gère et réforme sans cesse notre système de santé ? Ou bien récoltons-nous les fruits des inégalités profondes trop longtemps ignorées dans notre société ?

Est-ce un peu de tout ça à la fois ?

Je sais une chose. Mardi, je penserai à Marie-Catherine. Elle apprendra si elle doit replonger dans le cauchemar d’un réseau de la santé brisé, porté à bout de bras par des professionnels dévoués. 

Je me demande si Rambo Gauthier aura une pensée pour les victimes collatérales de la COVID, ou s’il s’imaginera en faire partie.

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