Manipulation, collecte de données et lois dépassées: nos enfants sont vulnérables dans l’univers des jeux mobiles
Une prof de l’UQAM sonne l'alerte rouge et réclame une action urgente de Québec
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Julien McEvoy
2025-05-17T04:00:00Z
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L’industrie du jeu mobile pour enfants est sous le feu des projecteurs. Une étude portant sur 140 applications montre que les jeux manipulent les enfants et collectent leurs données personnelles à grande échelle, sans encadrement réel.
Selon la professeure de l’UQAM Maude Bonenfant, cet univers numérique est une machine bien huilée... pour manipuler, espionner et encaisser des millions.
«Si tu ne paies pas le jeu, c’est toi le produit. Dans ce cas-ci, c’est l’enfant», résume la chercheuse, qui étudie les jeux vidéo et la surveillance numérique depuis des années.
Les jeux «My Virtual Pet Cat» et «My Talking Angela» font ce que Maude Bonenfant qualifie de harcèlement psychologique – ou algorithmique – en envoyant de telles notifications aux enfants.Captures d’écran fournie par Maude Bonenfant
Après avoir analysé 140 jeux populaires avec un juriste, son constat est brutal: aucun jeu ne respecte les lois québécoises et canadiennes en matière de vie privée. Notifications personnalisées, interfaces trompeuses, accès aux contacts ou à la géolocalisation, tout est en jeu.
La spécialiste rassure les parents: nul besoin d’interdire les jeux vidéo. Elle leur recommande plutôt l’utilisation d’une console comme la Nintendo Switch, avec des jeux complets, payés une fois, sans pub ni collecte de données.
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« Au moins, vous saurez ce que vos enfants font. Et qui les regarde. »
- Maude Bonenfant, professeure au Département de communication sociale et publique de l’UQAM
Image tirée du site de l'UQAM
Dès qu’un jeu mobile est téléchargé, c’est un cheval de Troie pour la collecte de données. Une armée de compagnies tierces se branche à l’application et récolte tout ce qu’elle peut: géolocalisation, contacts, habitudes et même caméra et micro dans certains cas.
La majorité des jeux des séries Masha et l’ours,Talking Tom ou Talking Angela récoltent ainsi une tonne de données, comme les jeux Creatures of the Deep: Fishing et Stumble Guys.
CAPTURES D’ÉCRAN TIRÉES DU APP STORE D’APPLE ET DU GOOGLE PLAY STORE / Photomontage JDM
Des lois molles
Ces tiers sont des plateformes opaques qui ne respectent rien, affirme la chercheuse, car les lois sont floues. Elles profitent d’un consentement bidon, d’un clic sur «accepter» par un enfant, et pouf, la machine est lancée.
Les données récoltées sont parfois anonymes, mais du recoupement peut facilement être fait. Résultat: un profil numérique suit l’enfant à son insu. L’enfant d’aujourd’hui pourrait se voir refuser un prêt ou un emploi à cause de son historique de jeu, avertit-elle.
Selon les recherches de Mme Bonenfant, même lorsque les enfants jouent sur les appareils de leurs parents, les jeux mobiles utilisent des techniques sophistiquées pour collecter des données spécifiques à chaque utilisateur.
Aucun cadre juridique clair n’interdit ou n’encadre le design persuasif qui vise les enfants. Rien non plus contre la collecte systématique de données personnelles par des tiers ou contre l’usage de ces données pour du profilage publicitaire.
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Du muscle pour la loi
Option consommateurs propose de muscler la loi avec une clause béton: chaque entreprise devrait prouver que ses systèmes respectent «l’intérêt supérieur de l’enfant» et l’usage commercial des données des mineurs devrait tout bonnement être interdit. Alexandre Plourde est avocat et analyste au sein de l'organisme de défense des droits du public:
«Il faut adapter nos lois à la réalité technologique. Les enfants ne sont pas des cobayes marketing.»
Il reconnaît l’existence de lois comme la loi 25, mais souligne qu’elles sont générales et peu appliquées. Il appuie aussi l’idée d’une régie publique qui classerait les jeux, comme on le fait déjà pour les films.
Cette régie sort de la tête de Maude Bonenfant. Si elle existait, l’instance indépendante classerait les jeux selon leur impact sur le développement de l’enfant, comme pour les films.
«L’industrie avance sans gêne. Elle broie les règles et les enfants avec. Il est temps que l’État prenne ses responsabilités», assène la spécialiste.
LES COULISSES D’UN JEU MOBILE
Qui récolte quoi?
🎮 Développeur : crée le jeu, collecte des données de jeu
💼 Éditeur : finance et vend le jeu, analyse les comportements
4. Les enfants sont ciblés comme des adultes... en pire.
5. La solution? Des jeux payés, sur console, et une vraie régie du jeu.
FAQ POUR LES PARENTS INQUIETS
Mon enfant est-il en danger? Pas physiquement. Mais ses données, oui. Et son attention est manipulée.
Comment savoir si un jeu est «sain»? Privilégiez les jeux payants, sans pub, sans boutique intégrée.
Que faire si mon enfant joue déjà? Parlez-lui. Supprimez les jeux douteux. Installez des jeux sur console.
Est-ce légal? Souvent non. Mais les règles sont floues. D’où l’urgence d’agir.
Existe-t-il une liste de bons jeux? Pas encore. Les États-Unis ont créé une agence pour protéger les jeunes, mais l'inscription est volontaire. C’est pourquoi Maude Bonenfant propose que le Québec se dote d'une régie indépendante.