Manifestations prorusses controversées en Allemagne

AFP
Plusieurs rassemblements prorusses controversés se sont tenus ce week-end en Allemagne à l’initiative de l’importante communauté russophone du pays, qui se dit victime de discrimination depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine.
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Pour s’y opposer, des manifestations sous forme de cortège de voitures «contre la russophobie» arborant des drapeaux russes s’organisent dans le pays, qui abrite la plus importante diaspora de l’Union européenne. Mais elles créent la polémique pour leur manque de distanciation face à l’agression militaire russe.
De nouveaux défilés de ce type ont eu lieu dimanche à Francfort et à Hanovre, et la veille à Lübeck et à Stuttgart, rassemblant plusieurs centaines de personnes pour dénoncer la «discrimination» antirusse.

Organisateur d’un convoi à Berlin dimanche dernier, qui avait rassemblé 400 véhicules, Christian Freier, 40 ans, reçoit depuis des centaines de menaces de mort, et ce, quotidiennement.
Le site internet de son garage automobile a été piraté et ses notations en ligne ont chuté: «Ma vie est un enfer», se plaint ce Russo-Allemand.
Son cortège a toutefois choqué le monde politique allemand, car la même journée les atrocités de Boutcha étaient mises au jour.
«Mon but était seulement de protester contre les agressions que subissent au quotidien les Russes en Allemagne», assure M. Freier, prétendant que sa manifestation n’avait aucun rapport avec le conflit, dont il ne veut surtout pas parler.
Depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, 383 délits antirusses et 181 délits antiukrainiens ont été rapportés officiellement à la police allemande.

L’Allemagne abrite 1,2 million de personnes originaires – comprenant leurs familles – de Russie et 325 000 d’Ukraine, auxquelles s’ajoute l’arrivée depuis un mois de plus de 316 000 réfugiés ukrainiens.
«Cortège de la honte»
«Chaque guerre est condamnable et aucune n’est justifiable», avance le coorganisateur du cortège berlinois, l’Allemand René Hermann, 50 ans.
Mais loin des journalistes, l’homme s’avère un blogueur influent aux milliers d’abonnés sur le réseau social TikTok. Jusqu’à la suspension récente de son compte, il y diffusait de nombreux messages typiques de la propagande pro-Kremlin.
L’un d’eux prétendait que «des prisonniers racontent que Kyïv a ordonné de mettre en scène un massacre pour manipuler la pensée occidentale».
«Les motifs de participation à ces manifestations sont très hétérogènes», analyse Jochen Töpfer, sociologue à l’université Otto von Guericke de Magdebourg, et spécialiste de la société russe.
«L’organisateur a parlé d’une manifestation contre la discrimination. À côté de cela, des fans de Poutine y participent certainement, ou des personnes qui n’aiment pas Poutine, mais ils ne veulent pas voir leur pays discrédité, malgré la guerre», explique-t-il à l’AFP.
À Berlin, le quotidien Bild a parlé de «cortèges de la honte». Dimanche, il accusait les participants aux nouvelles manifestations d’être des «fans de Poutine» qui «nient les crimes de guerre».

«Pour l’amour du ciel, comment avez-vous pu autoriser ce cortège de voitures de la honte en plein Berlin?», s’est offusqué Andrij Melnyk, ambassadeur d’Ukraine en Allemagne, en s’adressant à la maire de Berlin, Franziska Giffey.
Elle lui a répondu en affirmant «comprendre» sa colère, mais a indiqué qu’elle ne pouvait interdire une manifestation où étaient brandis «des drapeaux russes».
Russes «occidentalisés»
Les autorités de sécurité «surveillent de près dans quelle mesure les citoyens russes mais aussi ukrainiens sont en danger en Allemagne», a déclaré la ministre allemande de l’Intérieur, Nancy Faeser.
Et elle ajoute: «Nous devons veiller très attentivement à ce que cette guerre ne soit pas importée dans notre société.»
Une hypothèse dont doute le chercheur Tobias Rupprecht de l’université libre de Berlin: «La plupart des Russes ici ont une image beaucoup plus critique du conflit, ils ont tendance à être beaucoup plus occidentaux que les Russes en Russie.»
Toutefois, «plus la guerre dure, plus le risque est grand de voir un nombre plus élevé de délits être commis dans ce contexte en Allemagne», redoute M. Töpfer.
Des organisations russes ont aussi condamné les défilés.
«Nous ne tolérerons pas que les quelques cas de discrimination soient utilisés comme couverture pour des événements propagandistes pro-Poutine», a prévenu la communauté d’intérêts des Allemands de Russie en Hesse (IDRH).