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L'article provient de TVA Nouvelles
Justice et faits divers

Malgré la poursuite la présumée victime de Mgr Ouellet persiste et signe

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Martin Lavoie | Journal de Québec

2022-12-21T17:03:10Z
2022-12-21T17:07:53Z
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La présumée victime du cardinal Marc Ouellet ne baisse pas les bras malgré la poursuite de 100 000$ pour diffamation dont elle fait l’objet et compte mener à terme son combat, a-t-elle confié mercredi.

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«Je survis. Je vis au jour le jour. Avec le processus qui perdure, je fais des cauchemars, de l’anxiété, des remises en question, de la culpabilité, de la honte», a lancé celle qui est appelée Mme F, pour protéger son anonymat, lors d’une entrevue conjointe à TVA Nouvelles et au Journal. 

Le 16 août, 101 présumées victimes -elles sont 134 depuis le 1er décembre- ont lancé une action collective contre une centaine de prêtes et de personnes du diocèse de Québec pour des gestes allégués commis entre 1942 et 2018.

Du nombre, Mme F reproche au cardinal Ouellet des «attouchements non sollicités, des massages d’épaules, une main qui descend dans le dos jusqu’au début des fesses et des commentaires déplacés mettant mal à l’aise au point d’arrêter de participer aux évènements.»

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Ces éléments allégués auraient été commis à quatre moments de 2008 à 2010 alors qu’elle était stagiaire au diocèse. 

Le 19 août, le cardinal niait en bloc les accusations. Finalement, le 13 décembre, il déposait une plainte de 100 000$ en diffamation contre Mme F.

Parcours

«J’avais 23 ans, j’étais stagiaire, je commençais dans le milieu. C’était difficile de mentionner ces gestes. J’étais face à un homme qui était une figure importante dans l’organisation. J’en avais parlé autour de moi et je sentais que ça rendait les gens ma à l’aise. On virait souvent cela en blague. J’ai gardé ça pendant longtemps», relate-t-elle aujourd’hui.

Mme F n’a jamais été témoin de gestes similaires à ceux qu’elle allègue envers d’autres personnes, sentant quelque chose de différent avec elle. «C’est un peu ce qui m’inquiétait. Il n’agissait pas ainsi avec d’autres collègues féminines.»

Avec le temps, elle finit cependant par aller plus loin.

«C’est un peu un concours de circonstances. Il y a eu plusieurs évènements, dont des formations sur les abus sexuels. Je me suis ouverte aux gens autour de moi. J’en ai parlé. Des amis m’ont suggéré de contacter le comité pour la gestion des agressions sexuelles», révèle-t-elle.

La femme a finalement déposé plainte il y a deux ans à ce comité du diocèse de Québec.

«On ne lève pas un matin en disant ‘ah, tiens, j’ai été victime. C’est un long processus. À ce moment j’étais encore en relecture de ce que j’avais vécu. (Au début) je n’avais pas encore nommé (au comité) la personne je dénonçais les gestes. Les choses se sont déroulées rapidement ensuite», raconte-t-elle. 

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Action

Comment a-t-elle réagi aux dénégations du cardinal et à sa poursuite pour diffamation?

«Ce n’est pas tant que Marc Ouellet nie les allégations que j’ai trouvé difficile que la réaction de la sainteté (le pape) de ne pas faire enquête. Je suis capable de faire la distinction entre l’homme et l’institution. Mais quand ça vient de l’institution, j’ai l’impression de revivre une forme de microagression, ou du moins d’abandon. Je fais partie de cette organisation aussi. Je travaille pour l’Église catholique», avance celle qui est toujours agente de pastorale.

«Le cardinal avait déjà exprimé ses intentions en août, mais j’ai été surprise du moment où la poursuite est tombée, ajoute-t-elle. À quelques jours de Noël, lorsque l’on sait que dans l’Église catholique c’est un des deux temps forts de l’année avec Pâques. J’étais en pleine collecte de denrées pour des familles dans le besoin, dans ce contexte, ça a été un choc.»

Vivement un ombudsman

La défense du cardinal Ouellet a mis en opposition (voir tableau) la plainte de Mme F. au pape, ou il n’est pas question d’agression sexuelle, et sa déclaration dans le recours collectif, ou cette foi le terme d’agression est utilisé.

«Quand je me suis adressé au pape, à la demande du comité-conseil, je n’étais pas nécessairement capable de nommer ce que j’avais vécu. J’espérais que quelqu’un de professionnel enquête et fasse la lumière. Malheureusement, ça n’a pas été le cas. C’est davantage lorsque je me suis tourné vers les avocats, vers des spécialistes que j’ai pu comprendre la nature des gestes», plaide-t-elle.

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Elle estime que Jacques Servais, qui a examiné sa plainte à Rome à la suite d’une rencontre à distance, «a des connexions des rapprochées avec son éminence (Mgr Ouellet). Le manque de neutralité fait que je n’ai pas été à l’aise d’exprimer tout ce que j’aurais aimé dire.»

Pour ce qui est du comité-conseil, elle dit que sa requête a «bien été accueillie. Ce sont des bénévoles, impliqués dans l’Église, avec de bonnes intentions, qui ont fait ce qu’ils pouvaient.»

Elle regrette cependant qu’il n’y ait pas une personne neutre et professionnelle comme l’ombudsman de l’Évêché de Montréal.

Impacts

Face au comité elle s’est senti «dans le vide, sans réponse à mes questions, ne sachant pas trop ce qui allait arriver. C’était un peu du nouveau pour eux de ce que je comprenais. Je me présentais là en état de recherche, de questionnement. Je me suis laissé porter par ça. Si c’était à refaire, je ne m’adresserai pas au comité.»

Pour ce qui est des fuites qui ont permis au cardinal Ouellet de l’identifier et de la poursuivre, elle ne sait pas d’où elles viennent, mais elle croit que le comité a respecté sa confidentialité.

Ses démarches ont aussi eu des répercussions dans son milieu de travail. «J’ai eu diverses menaces qui n’ont pas à voir avec le comité, mais qui sont le résultat de ma démarche. J’ai reçu des lettres anonymes. J’ai toujours un sentiment d’insécurité, d’avoir des répercussions. J’ai eu une perte de confiance en l’institution. Ça a affecté mon engagement.»

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«Ce qui m’a permis de tenir ce sont les gens que je rencontre, les enfants que je baptise, les campagnes de paniers de denrées. C’est un petit milieu à Québec. J’ai du soutien, mais ça ne doit pas se savoir. Mes proches dans l’Église peuvent aussi avoir des répercussions s’ils me témoignent du soutien», soutient-elle.

David contre Goliath

Questionné s’il est se sentait comme David face à Goliath, tel que raconté dans la bible, elle a tenu d’abord à relativiser, avant d’y voir des similitudes.

«L’image est bonne. Je suis une petite agente de pastorale inconnue. J’ai l’impression de me battre contre l’Institution entière depuis que j’ai dénoncé. Ce que je remporte c’est la capacité de me tenir debout comme victime et la capacité de faire le processus jusqu’au bout, à me tenir debout, à libérer ma parole. Peu importe l’issue, je suis déjà gagnante.»

À quelques reprises durant l’entrevue elle utilisera le mot éminence pour parler de Marc Ouellet, le terme requis dans la religion catholique pour s’adresser à un cardinal.

«Ce n’est pas difficile d’utiliser ce terme, c’est ce qu’il est. C’est une façon pour moi de montrer que je continue à respecter l’institution», dit-elle.

Sollicitation publique

La semaine dernière, Mme F a lancé une campagne de sociofinancement sur gofundme. Derrière la nécessité d’amasser les fonds pour acquitter d’éventuels dommages se cache un autre objectif.

«C’est de rendre visible l’élan de solidarité derrière moi. C’est une façon de m’appuyer pour les gens qui ne peuvent pas s’exprimer publiquement ou pour mes proches qui ne veulent pas dévoiler mon identité», précise Mme F.

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Si elle n’a pas besoin des fonds, elle les remettra à des associations venant en aide aux victimes d’agressions sexuelles.

«Quand tu entends que le recours collectif cause des blessures à l’institution, il y a un sentiment de déchirement et de culpabilité. J’ai été très déçue du processus que j’ai vécu. Et j’ai espoir que l’institution pourra entendre comment je l’ai vécu en tant que victime pour qu’on puisse changer ses façons de faire», a conclu Mme F.

EXTRAITS DE LA POURSUITE DE MARC OUELLET

-«Les propos de Mme F. (...) ont profondément affecté M. Ouellet (...) Ils laisseront une trace indélébile sur son honneur, sa réputation et sa dignité.»

-«Même si nous prenions pour avérés les faits reprochés par Mme F, lesquels sont niés catégoriquement, ceux-ci ne peuvent se qualifier comme une agression sexuelle en l’espèce.»

-Dans le recours collectif, «Mme F. affirme que l’ensemble des comportements reprochés à M. Ouellet constituent des ‘attouchements de nature sexuelle’ et donc d’une ‘agression sexuelle’ (...) Il est d’autant plus étonnant de constater que, dans la plainte (au pape), Mme F. n’utilise jamais les termes ‘agression sexuelle’, mais les présente plutôt comme des gestes de ’trop grande familiarité’ ou comme une ‘intrusion » dans son intimité’.»

-«Nous sommes d’avis qu’à tout évènement, présenter des gestes allégués qui ne sont pas de la nature d’une agression sexuelle parmi d’autres pouvant revêtir une telle gravité est diffamatoire en soi et constitue un geste fautif. Considérant les impacts que de telles allégations peuvent avoir dans la vie d’une personne visée, cela commande la plus grande prudence, même dans le cadre d’une procédure judiciaire»

—Me Dominique Ménard, avocate de Marc Ouellet au sujet du fait que ce dernier se retrouve cité dans un recours collectif parmi des gens dont les gestes allégués sont des agressions sexuelles graves, voire des actes de pédophilie.

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