Maladies auto-immunes: les femmes plus touchées à cause du chromosome X


Richard Béliveau
Une découverte majeure en biochimie suggère que ce sont des anticorps dirigés contre des protéines impliquées dans le contrôle de l’activité du chromosome X qui contribueraient à faire en sorte que les femmes sont plus touchées que les hommes par des maladies auto-immunes.
Au Canada, on estime que plus de deux millions de personnes sont atteintes d’une maladie auto-immune, les plus fréquentes étant le lupus, l’arthrite rhumatoïde, la sclérose en plaques, la maladie de Crohn et le syndrome de Sjögren.
Une caractéristique vraiment frappante de ces maladies est qu’elles touchent de façon disproportionnée les femmes : globalement, huit patients sur 10 atteints de maladies auto-immunes sont des femmes. Un ratio qui atteint même neuf femmes pour un homme dans le cas du lupus érythémateux disséminé et de 19 femmes pour un homme pour la maladie de Sjögren.
Chromosome X supplémentaire
Étant donné que la différence fondamentale entre les femmes et les hommes est la présence de deux chromosomes X chez les femmes (XX) contre un seul chez les hommes (XY), on soupçonne depuis longtemps que ce chromosome X supplémentaire contribue à la plus forte incidence de maladies auto-immunes chez les femmes.
Ceci est également suggéré par le fait que les patients atteints du syndrome de Klinefelter (avec un génotype XXY) ont un risque de maladie auto-immune équivalent à celui des femmes, même s’ils présentent un phénotype et un profil hormonal typiquement masculins.
Museler le chromosome X
La présence d’un chromosome X supplémentaire chez les femmes ne signifie cependant pas que l’expression des gènes présents sur ce chromosome est deux fois plus élevée que chez les hommes (cela aurait des conséquences catastrophiques pour les cellules).
Pour que les produits de ces gènes soient à peu près équivalents entre les deux sexes, chaque cellule du corps d’une femme inhibe l’un des deux chromosomes X à l’aide d’un long segment d’ARN non codant, appelé Xist, qui s’associe avec de nombreuses protéines pour former une espèce de « manteau moléculaire » qui recouvre le chromosome X supplémentaire et empêche l’expression des gènes qui y sont localisés, le rendant ainsi inactif.
Confusion immunitaire
Le complexe Xist est produit uniquement à partir du chromosome X inactif (et n’est donc pas exprimé chez les hommes) et, selon une étude récente, cette différence biochimique fondamentale entre les deux sexes pourrait jouer un rôle majeur dans la plus forte incidence de maladies auto-immunes qui affecte les femmes(1).
En utilisant des systèmes modèles, les chercheurs ont montré que l’ajout du complexe Xist chez des mâles les rendait beaucoup plus susceptibles à développer une maladie auto-immune. Ils ont également observé que le sang de personnes atteintes de maladies auto-immunes présentait des niveaux élevés d’anticorps dirigés contre les protéines présentes dans les complexes Xist.
Selon les chercheurs, il est possible que durant l’élimination normale des cellules vieillissantes, les complexes Xist soient relâchés dans la circulation sous forme d’amas protéiques qui pourraient déstabiliser le système immunitaire et lui faire croire qu’il s’agit d’un corps étranger.
Cette confusion immunitaire a des répercussions sérieuses, car la production d’anticorps contre des protéines tout à fait normales mène à l’établissement d’une réponse auto-immunitaire et au développement d’une ou l’autre de nombreuses maladies qui en découle.
Cette découverte majeure ne signifie cependant pas que toutes les maladies auto-immunes sont provoquées par le phénomène identifié dans l’étude. Même s’ils sont moins fréquemment affectés, plusieurs hommes développent ces maladies et sont même dans certains cas (le diabète de type 1) encore plus touchés que les femmes.
Néanmoins, l’identification d’un nouveau mécanisme biochimique associé au développement de l’auto-immunité est très encourageante et pourrait mener à moyen terme à une meilleure détection clinique de ces maladies et au développement de nouvelles approches thérapeutiques.
(1) Dou DR et coll. Xist ribonucleoproteins promote female sex-biased autoimmunity. Cell 2024; 187 : 733-749.e16.