Maison Canada: un véritable virage, ou une énième bébelle?

Francis Gosselin
Mark Carney a dévoilé dans les premiers jours de sa campagne le programme Maisons Canada (MC), une nouvelle société d’État vouée à la construction de logements plus abordables à grande échelle.
Au Québec, l’annonce a davantage fait rire pour son nom (Bâtir Maisons Canada).
Mais sur le fond, il y a quelque chose là d’inédit.
La fin des chèques en blanc
Ce n’est pas la première fois que le gouvernement du Canada tente de s’immiscer dans le complexe marché de l’immobilier, où des municipalités et des provinces complètement désorganisées multiplient les prétextes et les obstacles à la construction.
Mais plutôt que d’envoyer des chèques en blanc à d’autres paliers de gouvernement, ou à des intermédiaires dont on peut remettre en doute la compétence, Maisons Canada prévoit d’intervenir directement auprès des bâtisseurs qui construisent les maisons canadiennes.
Ça a le mérite d’être original. Et ça pourrait fonctionner.
L’artisanat de la construction résidentielle
Le secteur canadien de la construction souffre, depuis des décennies, d’un grave déficit de productivité.
Dans la construction résidentielle tout particulièrement, l’industrie est caractérisée par un très grand nombre de petites entreprises, dont les gestionnaires et les employés sont peu qualifiés.
Aujourd’hui, à peine un travailleur sur cinq dans la construction est diplômé.
Pour ces raisons, la construction résidentielle au Québec est un métier qui relève davantage de l’artisanat que de l’industrialisation.
Cela explique, en partie, l’augmentation fulgurante des coûts de construction.
S’ajoutent à cela l’explosion des délais d’octroi de permis (sous Valérie Plante, ces délais ont plus que doublé à Montréal), le coût des matériaux, les coûts de financement et le coût de la main-d’œuvre. Avec la récente entente multipartite survenue dans l’industrie, le coût des salaires va bondir de près de 20 % au cours des cinq prochaines années.
Pour autant, Maisons Canada pense pouvoir maîtriser ces coûts, mais indirectement. La mesure phare consiste plutôt à transformer complètement la chaîne de valeur de la construction résidentielle -canadienne.
Rien de moins.
Une affaire de délais, une affaire de coûts
Pour arriver à ses fins, Maisons Canada disposerait d’un financement de 25 milliards de dollars pour -appuyer les constructeurs canadiens de -maisons préfabriquées.
Le recours aux techniques de préfabrication permettrait, selon les estimations, de réduire les délais de construction de 50 %, les coûts de 20 % et les émissions de gaz à effet de serre de 22 %.
Au Québec, les travailleurs d’une usine construisant des composantes préfabriquées ne seraient pas assujettis à la loi R-20. Dans un contexte manufacturier, les gains de productivité sont souvent plus accessibles : former adéquatement les travailleurs, investir dans l’outillage et l’automatisation, et s’assurer de conditions de travail exemplaires et prévisibles.
Il y a, du point de vue de la main-d’œuvre, une vraie carte à jouer ici.
L’objectif inavoué de Maisons Canada est donc de transformer l’industrie de la construction en... industrie ! En augmentant le volume, et en assurant aux usines de fabrication une demande constante, cela permettra de passer de petites PME désynchronisées à un système mieux rodé, plus efficace et moins coûteux, et de diminuer le temps de fabrication et les coûts associés.
En pleine guerre commerciale, le plan accorderait aussi la priorité aux technologies et aux ressources canadiennes, dont le bois d’œuvre.
Reste plus qu’à livrer
Sur papier, Maisons Canada est un programme ambitieux qui semble enfin cibler les enjeux de productivité et d’offre sur le marché résidentiel canadien.
Il n’en demeure pas moins que Maisons Canada est une nouvelle société d’État, qui viendra prendre certaines responsabilités de la SCHL, avant d’en assumer de nouvelles.
De nouveaux joueurs, un budget massif, une nouvelle manière de faire. Ce n’est pas nécessairement la recette du succès, ces temps-ci, ni à Ottawa ni à Québec.
Après Phoenix, ArriveCan, SAAQClic ou l’identité numérique, espérons que le gouvernement, sous un nouveau leadership, saura trouver, sur ce dossier urgent, le chemin de l’efficacité.