«Ma mission dans la vie, c’est de partager la beauté»: l’autrice Kim Thúy se confie sur la sortie du film «Ru», une adaptation de son roman autobiographique

Maxime Demers
Il n’a fallu que quelques secondes à la jeune actrice Chloé Djandji pour convaincre Kim Thúy qu’elle était la candidate parfaite pour interpréter le rôle principal du film adapté de son roman autobiographique Ru. L’autrice dit avoir fondu en larmes en visionnant une vidéo de la première audition de cette fillette vietnamienne arrivée au Québec à peine deux ans plus tôt. «J’ai pleuré ma vie en la voyant», confie-t-elle en entrevue au Journal.
La scène que devait interpréter Chloé Djandji pour sa première audition n’était pourtant pas particulièrement chargée en émotion. La jeune actrice devait simplement faire semblant d’éplucher des carottes et prononcer quelques mots en vietnamien. Mais c’était suffisant pour faire craquer Kim Thúy.
«Elle a dit une courte phrase en vietnamien et c’était tellement beau!» se souvient l’autrice de 55 ans à propos de la jeune actrice qui a campé son rôle au grand écran.
«Son vietnamien était si doux, si vrai. De l’entendre avec sa voix de jeune fille, tout est revenu. J’ai eu comme un coup de foudre. On savait déjà que c’était elle. J’ai appelé tout de suite l’équipe du film pour leur dire: on l’a, on est bénis des dieux. Pour moi, c’était clair: on avait trouvé notre actrice principale.»
Deux ans plus tard, en contemplant les clichés croqués pendant une session de photo organisée par Le Journal, Kim Thúy s’émerveille encore devant le talent naturel de la jeune actrice, maintenant âgée de 13 ans.
«Le talent de Chloé, c’est de pouvoir dire juste avec son regard et son visage. Elle a ça en elle, cette capacité de s’exprimer avec presque pas de mots. Elle parle peu dans le film mais elle réussit à dire beaucoup de choses avec son regard et son langage corporel.»
Après plusieurs années de gestation, l’adaptation cinématographique de Ru, le premier roman de Kim Thúy paru en 2009 et vendu à plus de 540 000 exemplaires dans le monde, prendra l’affiche le 24 novembre, partout au Québec. Réalisé par Charles-Olivier Michaud (Anna) d’après un scénario de Jacques Davidts (Les mecs), le film relate le parcours de Tinh, une jeune Vietnamienne (Chloé Djandji), qui débarque au Québec avec sa famille à la fin des années 1970, après avoir fui son pays pour échapper à la persécution.
Avec ses parents et ses deux frères, Tinh tentera de s’adapter à sa nouvelle vie avec l’aide d’un couple de Québécois bienveillants (Patrice Robitaille et Karine Vanasse) qui proposeront de parrainer la famille de nouveaux arrivants.
Parcours similaires
Chloé Djandji a vécu les 10 premières années de sa vie au Vietnam avant d’immigrer au Québec avec sa famille, dans la tourmente du début de la pandémie. Même si son parcours n’a rien à voir avec celui vécu par Kim Thúy à son âge, la jeune actrice a été en mesure de faire quelques liens avec l’histoire de sa famille.
«Ma mère a beaucoup pleuré en voyant le film au Festival de Toronto, relate la jeune actrice. Elle pouvait s’identifier à cette histoire parce qu’elle a vécu des choses elle aussi et qu’elle a quitté son pays de naissance après avoir vécu 38 ans là-bas.»
Kim Thúy avait déjà constaté elle-même à maintes reprises depuis la publication de Ru, en 2009, que le cheminement de la jeune héroïne du roman s’apparente au parcours de plusieurs Vietnamiens vivant aujourd’hui au Québec.
«Le plus beau compliment que j’ai déjà eu, c’est une dame qui m’a couru après dans un centre d’achat pour me dire: “comment ça, vous connaissez mon histoire”? Elle m’a dit que l’histoire que j’avais racontée dans Ru, c’était la sienne. Encore récemment, une personne qui travaille avec les exploitants de salles m’a confié que même si elle venait d’Amérique du Sud, son histoire ressemblait beaucoup à celle qu’on raconte dans le film. Ça me touche beaucoup que des gens puissent s’approprier cette histoire-là.»
Une histoire positive
Dans Ru, les thèmes de l’immigration et de l’intégration sont abordés de façon positive à travers le parcours de cette famille vietnamienne qui a la chance de bénéficier d’un encadrement favorable pour s’acclimater à sa nouvelle vie au Québec. Kim Thúy se réjouit de pouvoir partager un récit d’immigration inspirant alors que les bulletins de nouvelles s’attardent souvent davantage aux histoires moins heureuses.
«Des histoires positives, je suis certaine qu’il y en a plein. C’est juste qu’on ne le montre pas. On ne prend pas le temps de les montrer», déplore-t-elle.
«Ma mission dans la vie, c’est de partager la beauté, poursuit-elle après avoir marqué un court silence. Mais comme le livre parle d’immigration et qu’on me tend souvent le micro pour parler de ce sujet-là, c’est aussi un devoir et une responsabilité pour moi de parler pour ceux qui n’ont pas de voix et à qui on ne tend jamais le micro. Si le film peut parler ne serait-ce que pour une seule de ces personnes sans voix, le pari aura déjà été gagné pour moi, je serai contente et ça aura valu la peine de le faire.»
Même si c’est son histoire qui est racontée dans le film, Kim Thúy dit avoir encouragé le réalisateur Charles-Olivier Michaud à faire le film qu’il souhaitait, sans se censurer. Elle a accordé la même liberté au scénariste Jacques Davidts qui a réussi, selon elle, à «imaginer un scénario à partir d’un livre impossible à adapter tel quel».
«Je dois dire que Charles Olivier a aussi beaucoup aidé pour le scénario. Il est arrivé un jour avec une phrase qui nous a libérés dans notre façon de construire le scénario. Il a dit: “ce film va parler de l’apprentissage de la culture québécoise à travers les yeux d’une petite fille vietnamienne. Car, ce qui est exotique dans le film, c’est la culture québécoise et non pas la culture vietnamienne. Cette petite-là, elle connaît sa culture vietnamienne. Ce qu’elle ne connaît pas, c’était la culture québécoise. C’était ça le point de vue du livre.” Et quand Charles Olivier a réussi à nous ramener vers ce point de vue là, tous les morceaux du scénario se sont collés ensemble.»
Le film Ru prend l’affiche le 24 novembre.
Une réédition du livre de sortir dans les librairies.

Une crise de narcolepsie en voyant le film
Dire que Kim Thúy est fébrile à deux semaines de la sortie du film est un euphémisme. L’autrice a déjà traversé des montagnes russes d’émotions depuis le début de l’aventure cinématographique de Ru, allant même jusqu’à faire une crise de narcolepsie en voyant pour la première fois la version finale du film.
«J’étais incapable de rester éveillée!» relate-t-elle.
«Il m’arrive d’avoir ce genre de faiblesse à l’occasion. Quand c’est trop fort [émotivement], je m’endors. Pendant le visionnement, le producteur André Dupuy n’arrêtait pas de me toucher l’épaule pour me réveiller. Mais dès que je rouvrais les yeux, il y avait une autre scène qui me renvoyait dans mon sommeil. Normalement, les épisodes de narcolepsie durent seulement quelques minutes. Mais là, c’était comme ça pendant deux heures! C’est un sommeil très étrange comme si on t’écrasait. Donc, finalement, j’ai juste vu des petits moments du film, avec une sensation de brouillard.»
Heureusement, l’autrice a eu la chance de revoir le film – qu’elle a adoré – à quelques reprises depuis, notamment à sa première mondiale, au Festival de Toronto, en septembre dernier.
«À Toronto, j’ai beaucoup écouté le public pour voir comment il réagissait à chaque scène, souligne-t-elle. Je ne pensais pas que les gens allaient réagir aussi bien devant un film sous-titré en français. Et de voir les gens pleurer à la fin, c’était très émouvant.»
Kim Thúy a vécu un autre moment de grande émotion quand elle est allée visiter le plateau de tournage du film à l’hiver 2022. La reconstitution du décor de la maison de son enfance, à Saigon, l’a particulièrement remuée.
«Même si je savais que c’était un décor de film, mon corps cédait à chaque fois que j’arrivais sur le plateau, se souvient-elle. J’avais l’impression de me retrouver dans la chaleur et l’humidité de Saigon même s’il faisait moins 20 à l’extérieur. Toutes les émotions de la petite fille que j’étais à l’époque revenaient instantanément. C’était comme dans le film Back To The Futur!»