L’Université McGill déroule le tapis rouge en Chine à une proche du Parti communiste
Le recteur de l’université a fait le voyage pour remettre sa plus haute distinction à une donatrice

Sarah-Maude Lefebvre et Nora T. Lamontagne
Pour une très rare fois dans son histoire, l’Université McGill s’est rendue à l’étranger pour offrir une distinction honorifique à une riche femme d’affaires et philanthrope chinoise qui a des liens avec le Parti communiste chinois.
Ce n’est que la deuxième fois que l’université remet un doctorat honoris causa, sa plus haute distinction, à l’extérieur du Québec.
La somptueuse cérémonie a eu lieu à Ningbo, en Chine, le 4 mars dernier. Le recteur de McGill, Deep Saini, y a assisté en habit d’apparat, ainsi que deux vice-recteurs et le doyen de la Faculté des sciences de l’éducation.

La récipiendaire, Anna Pao Sohmen, est l’héritière d’un milliardaire chinois qui a fait fortune dans le transport maritime. Grande philanthrope en éducation, la femme d’affaires originaire de Hong Kong est également proche du pouvoir chinois.
Dans son discours de remerciement, elle a d’ailleurs souligné l’apport du président de la Chine, Xi Jinping, à ses réalisations.
Sur le site web de l’école qu’elle a cofondée, sa biographie indique qu’elle a été membre de la Conférence consultative politique du peuple chinois (CCPPC), un comité consultatif sous la direction du Parti communiste.

«Inacceptable»
Plusieurs observateurs déplorent qu’une délégation aussi importante de McGill se soit déplacée en Chine pour décorer une proche du Parti communiste.
«C’est inacceptable d’une grande université canadienne financée par des fonds publics, surtout à la suite de la Commission sur l’ingérence étrangère», croit Christian Leuprecht, professeur au Collège militaire royal du Canada.
«Anna Pao Sohmen était membre de la CCPPC [...]. Cette appartenance implique qu’elle est une fidèle du Parti communiste. McGill devrait enquêter plus attentivement sur les antécédents d’une personne avant de lui décerner une telle distinction [...], surtout qu’on ignore quelle est sa contribution à McGill ou au Québec», affirme Amy Li, de l’organisme Action Free Hong Kong Montreal.
Une grande donatrice
Détentrice d’une maîtrise en travail social de McGill, Mme Pao Sohmen est une généreuse donatrice de son alma mater. L’université nous a confirmé que ces dons ont servi à financer des bourses destinées aux étudiants chinois, mais elle a refusé de divulguer le montant total reçu.
«Le diplôme honorifique lui a été décerné en reconnaissance de ses contributions exceptionnelles à l’éducation, aux arts et à la promotion de l’équité sociale», a indiqué McGill.

Pour Margaret McCuaig-Johnston, du China Strategic Risks Institute, la volonté de McGill d'honorer Mme Pao Sohmen dépasse peut-être le domaine universitaire.
«On peut se demander si elle a utilisé ses dons et son travail éducatif à Hong Kong pour demander un diplôme honorifique. L'université aurait-elle accédé à sa demande pour s'attirer les faveurs de ses futurs dons et pour attirer davantage d'étudiants chinois?», questionne-t-elle.
McGill réfute cette idée et assure que la candidature de Mme Pao Sohmen a été retenue après un «processus rigoureux». L’université affirme aussi être au courant des liens entre sa récipiendaire et le pouvoir chinois.
«La participation de Mme Pao Sohmen à la vie politique en Chine est une information publique», a indiqué l’université.
Par ailleurs, l’établissement a refusé de préciser les coûts du voyage de sa délégation. McGill nous a indiqué que cette cérémonie était une «composante» d’un voyage en Asie des membres de sa direction.
Mme Pao Sohmen a décliné notre demande d'entrevue.
En collaboration avec Yves Lévesque
L’Université McGill et ses liens avec la Chine
Alors que les invitations à se méfier de la Chine se sont multipliées dans le milieu universitaire au cours des dernières années, McGill a fait les manchettes à quelques reprises en raison de différents liens avec Pékin:
- La Presse dévoilait en 2018 qu’un professeur de McGill, Ishiang Shih, est soupçonné par les autorités américaines d’espionnage industriel au profit de la Chine. Ce dernier plaide l'innocence. Les procédures judiciaires sont toujours en cours.
- Le Globe and Mail rapportait en 2023 que McGill était au troisième rang des universités canadiennes ayant eu le plus de projets de recherche avec l’Université nationale de technologie de défense, liée au Parti communiste chinois.
- Notre Bureau d’enquête a rapporté en 2023 qu’un chercheur de McGill, Benjamin Fung, s’est fait courtiser pendant plusieurs années par une multinationale chinoise soupçonnée d’espionnage.
- En 2023, McGill a reconnu avoir des ententes de recherche privées avec Huawei, même si l’entreprise avait été bannie du développement de la 5G pour des raisons de sécurité nationale.
La Chine est pourtant dans le viseur des autorités depuis plusieurs années. Depuis 2021, le Service canadien du renseignement de sécurité met en garde contre le «Programme des mille talents» de la Chine, qui recrute dans les universités des personnes qui serviront ses intérêts «en se servant de différents moyens (bourses d’études, voyages parrainés, chaires de professeurs invités».
En 2024, le gouvernement a annoncé qu’il cessait de financer les recherches faites en collaboration avec certaines universités chinoises, russes et iraniennes dans des domaines délicats comme les technologies de communication de pointe ou l’énergie.
Près de 2500 étudiants chinois sont inscrits à McGill pour l’année scolaire 2024-2025, selon le décompte de l’établissement.