L’union des joueurs

Jean-François Chaumont
Gary Bettman n’a rien d’un géant sur le plan physique. À une table de négociations, l’homme de 68 ans, qui occupe le poste de commissaire de la LNH depuis 1993, se transforme en une personne beaucoup plus imposante. Historiquement, il a rarement plié devant l’Association des joueurs.
Bettman n’a toutefois pas gagné tous ses combats. S’il y a un retour au jeu cette saison dans la LNH, et ce sera le cas, l’Américain a dû abandonner une bataille importante, celle d’ouvrir la convention collective, qu’il a signée pas plus tard qu’en juillet dernier.
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Afin d’amoindrir les pertes financières des propriétaires, Bettman avait comme objectif d’augmenter le pourcentage d’argent placé en fiducie (escrow) par les joueurs en plus d’exiger un plus grand pourcentage pour des paiements différés sur quelques années.
Antoine Roussel, des Canucks de Vancouver, a accepté de raconter les dernières négociations avec le grand manitou de la LNH. Sur les ondes de TVA Sports en entrevue à l’émission de Jean-Charles Lajoie lundi, Roussel a utilisé une expression qui trahissait ses origines françaises.
«Pour une fois, nous n’avons pas agi comme des paillassons. Nous avons choisi de nous tenir.»
Retour à la mi-janvier ?
Un paillasson, c’est une personne soumise. Dans la récente vague de négociations, l’AJLNH a opté pour une attitude bien différente, restant soudée et unie.
«Il n’y avait pas de zone grise pour nous, a dit Roussel en entrevue téléphonique au Journal, de son domicile de Vancouver. Je suis heureux de la solidarité des gars. Nous avions besoin de jouer au hockey, tout comme les propriétaires [le souhaitaient].»
«Je peux me tromper, mais je sais une chose. Nous jouerons au hockey cette année, a ajouté l’ailier de 31 ans. Avant ça, la grosse question c’était : est-ce que nous jouerons ou pas ? Maintenant, c’est plus de savoir quand nous recommencerons à jouer, au début ou à la fin du mois de janvier. Pour ma part, j’ai l’impression qu’un début de saison à la mi-janvier ou à la fin du mois serait plus logique. C’est aussi le souhait des joueurs.»
Question de principe
Depuis lundi soir, on parle d’une entente de principe entre la LNH et l’AJLNH pour lancer la prochaine saison. Il reste une multitude d’enjeux à régler, mais les deux clans ont réglé le dossier le plus épineux à l’extérieur de la gestion de la COVID-19, avec le cadre financier.
«Nous étions sûrs de notre coup. Sur le plan légal, les propriétaires ne pouvaient pas ouvrir une convention collective que nous venions de ratifier en juillet, a mentionné Roussel. C’était assez indéfendable comme position.»
«Si un tribunal devait trancher, nous aurions gagné. Il y avait toutefois la crainte de voir la saison annulée en raison des demandes des propriétaires. Mais on aurait parlé d’une négociation de mauvaise foi. Oui, nous pourrions placer un montant d’argent en différé. Nous sommes ouverts à cette idée, mais nous ne voulions pas toucher au pourcentage en fiducie pour les dernières années de la convention collective. Pour nous, c’était une question de principe.»
Repousser le problème
Ancien capitaine du Canadien et aujourd’hui analyste hockey, Vincent Damphousse s’y connaît en matière de négociations avec Bettman et la LNH. Il a déjà œuvré comme vice-président de l’AJLNH.
«Pour les joueurs, c’était réellement une question de principe, a expliqué Damphousse au Journal. On a une entente et on respecte cette entente. Je comprends aussi la position des joueurs. Ils ont prolongé la convention en juillet, ça fait seulement quelques mois. Pour Bettman et les propriétaires, on ne parlait pas d’un si gros enjeu. Ils pourront se financer ailleurs et ils ne donneront pas plus que 50 % des revenus en salaires. Les revenus baisseront et les joueurs auront une dette. Les joueurs finiront par la repayer dans le futur.»
Roussel est conscient de cette réalité où les joueurs auront de l’argent à rembourser aux propriétaires dans les années à venir, mais il n’a pas le sentiment de trahir les plus jeunes joueurs.
«C’est un problème, oui et non, a-t-il répliqué. J’anticipe aussi des entrées d’argent considérables. La LNH doit négocier son prochain contrat de télévision aux États-Unis. À l’époque, la LNH avait accepté 200 millions pour 10 ans. Ce n’était pas un énorme montant à 20 millions par année. C’était même des peanuts. Nous devrions obtenir un contrat beaucoup plus généreux. Nous parlerions d’une entente entre 750 000 $ et un milliard pour les États-Unis. C’est du gros cash.»
«Le plafond salarial [81,5 millions] ne devrait pas augmenter dans les prochaines saisons. Le remboursement des joueurs pour les propriétaires passera donc par là : le contrat de TV aux États-Unis et le gel du plafond.»