L’unifolié a 60 ans! Modèle du genre, le drapeau canadien est né dans la division en 1965


Mathieu-Robert Sauvé
Le drapeau du Canada a été officiellement inauguré par Ottawa le 15 février 1965, au terme de deux ans de débats acrimonieux devant lesquels le Québec est resté de glace.
C’est dans les douleurs de l’accouchement qu’est né ce symbole national décrit en termes héraldiques «De gueules au pal canadien d’argent chargé d’une feuille d’érable de gueules», soit une feuille d’érable à sucre rouge flanquée de deux rectangles de la même couleur.

«C’est un drapeau qui est très réussi en raison de sa simplicité, du fait qu’il est facile à reproduire et qu’il ne ressemble à aucun autre», commente l’historien Xavier Gélinas, conservateur au Musée canadien de l’histoire et expert de la fédération canadienne.
Pourtant, de 1963 à 1964, les élus de la Chambre des communes ont déchiré leur chemise autour de ce symbole national: d’un côté, les partisans d’une référence directe à l’Empire britannique, auxquels ils restent profondément attachés, et, de l’autre, les partisans d’un signe distinctif marquant l’indépendance du pays.

Le vote lui-même, qui se déroule le 15 décembre 1964, montre la division qui persiste: 163 députés votent en faveur et 78, contre.
Deux guerres sous le Red Ensign
Le Canada avait défendu l’épée et la croix durant les deux guerres mondiales sous le «Red Ensign», un drapeau qui reprend l’Union Jack, de la Grande-Bretagne, avec l’écusson canadien sur fond rouge.

Les voix se faisaient de plus en plus insistantes pour doter le pays de son propre symbole à quelques années des célébrations du centenaire de la confédération en 1967. «À plusieurs reprises, le gouvernement avait tenté d’adopter un dessin, mais en vain, car il n’arrivait pas à parvenir à un consensus», mentionne un document du gouvernement du Canada sur l’histoire du drapeau.

En lançant un concours pour se doter d’une image nationale cohérente, la Chambre des communes s’apprête à subir une violente polarisation des points de vue.
Crise existentielle
«C’est comme si le Canada vivait alors sa révolution tranquille loin des réalités du Québec qui était passé à autre chose», explique le professeur Marcel Martel, qui enseigne l’histoire canadienne à l’Université York de Toronto.

À Québec, on est en pleine réforme de l’éducation (le rapport Parent paraît en 1966) et l’économie se modernise; les débats sur les droits linguistiques sont en effervescence.
La «crise existentielle» du Canada anglais n’a guère d’écho chez les Québécois, qui disposent de leur propre drapeau depuis 1948.

Unanimité... jusqu’en 2022
Les tensions se calment aussitôt que l’unifolié flotte sur le parlement canadien et les immeubles fédéraux d’un océan à l’autre. S’il subsiste ici et là quelques critiques – comme le fait que l’érable à sucre ne soit pas présent dans toutes les provinces du pays –, il fera bientôt consensus.

On voit l’unifolié autant dans les cérémonies protocolaires que sur le sac à dos des jeunes baroudeurs en Europe et ailleurs. Les plus fiers partisans se l’impriment sur les joues, voire se le tatouent sur un biceps.
«Je dirais que le seul moment où l’unifolié a été perçu négativement, c’est durant la crise des camionneurs à Ottawa en 2022», souligne M. Martel.
Convergeant vers la capitale, le convoi a tenté d’associer le drapeau canadien au musellement de la liberté d’expression.