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L'article provient de Le Journal de Montréal
Santé

Lunettes roses ou lunettes noires

Photo Adobe Stock
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Photo portrait de Dre Christine Grou

Dre Christine Grou

2024-02-11T05:00:00Z
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Chez certains, le conte de fées auquel ils rêvent tant finira forcément par devenir réalité, presque par magie. D’autres, au contraire, sont convaincus que le pire des scénarios se concrétisera et que le ciel leur tombera sur la tête. Comment parvenir à équilibrer nos pensées et à les ancrer davantage dans le réel ? 

Il est tout à fait normal qu’un jeune enfant s’imagine dans un monde peuplé de licornes. Ce dernier peut aussi se croire le principal coupable d’un malheur dont il n’est pourtant aucunement responsable. En psychologie, de telles pensées sont notamment liées au développement cognitif et émotionnel en bas âge. 

Il en va autrement des adultes qui entretiennent des pensées irréalistes, qu’elles soient catastrophistes ou au contraire idéalistes. Les « Mieux vaut ne pas y penser. », « Le temps va tout régler. », et autres « Ma vie est foutue ! » sont en effet loin d’être sans conséquence. 

À la fois bouclier... et lame 

En s’attendant au scénario rêvé, on risque en effet fort d’être déçu, et on pourrait ne pas mettre en place les efforts pour qu’il devienne réalité. À l’inverse, en anticipant automatiquement le pire, il y a fort à parier qu’on vivra des montagnes russes d’émotions (la plupart du temps désagréables), sans compter que cela peut aussi nous paralyser... et nous empoisonner la vie. 

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La pensée magique est-elle pour autant une fuite illusoire ? On pourrait la croire inutile, mais elle possède toutefois quelques vertus, dont celle d’échapper (temporairement) à une réalité trop angoissante. Une séparation amoureuse est souvent une épreuve extrêmement douloureuse. Même lorsque cela n’est pas envisageable, croire pour un instant au retour de notre amour peut ainsi servir de « période tampon » et adoucir, du moins temporairement, cette période particulièrement difficile. 

Il est sans doute rassurant de croire qu’une réconciliation est possible et que « tout reviendra comme avant », mais est-ce forcément et toujours souhaitable ? Rêver au retour de l’ex-conjoint à tout prix, lorsque cette relation ne satisfaisait plus nos besoins, peut parfois cacher certaines peurs : celle de la solitude, du changement, de l’autonomie, etc. Une séparation engendrera certainement plusieurs changements : déménager dans un nouveau quartier, revoir sa routine et changer ses habitudes... Mais cela n’a certainement pas que de mauvais côtés, bien au contraire. 

Gare aux illusions de contrôle 

Comme nous avons tous besoin d’explications simples devant des événements complexes, la pensée magique permet alors d’éloigner, pendant quelque temps, ce vertige de l’inconnu. « Ça va bien aller », répétions-nous ad nauseam durant la pandémie. Par exemple, face à un problème de santé qui empoisonne notre quotidien, la pensée magique nous dira que ça va passer, alors que la pensée catastrophiste nous annoncera plutôt notre mort prochaine. 

Derrière ces illusions de contrôle se cachent souvent des enjeux plus complexes : les pensées magiques et les pensées catastrophistes se rejoignent d’ailleurs sur plus d’un point. Dans les deux cas, elles nourrissent notre imaginaire et tordent la réalité en balançant les faits au profit d’un apaisement temporaire. 

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Si la pensée magique est souvent associée au déni et à une certaine forme d’immaturité et que la pensée catastrophiste relève davantage de l’anxiété ou des troubles obsessionnels, les deux construisent de fausses certitudes venant limiter notre emprise sur notre vie. Elles briment notre liberté en nous donnant de faux semblants de contrôle. 

Contrer les pensées biaisées

Et si devant un potentiel danger, plutôt que d’opter pour ces deux types extrêmes de pensée, on prenait plutôt les précautions raisonnables et indiquées ? Et si la personne aux prises avec un problème de santé, plutôt que de repousser constamment son rendez-vous médical, voyait un médecin pour en avoir le cœur net ? Sans s’imaginer que tout est parfait ni encore qu’il soit question de refaire son testament, la conduite ne serait-elle pas mieux adaptée ?

Pour éviter de tomber dans le piège des pensées biaisées, il peut être utile d’apprendre à les identifier et à prendre conscience de ces pensées de type « tout ou rien », sans toutefois les juger ou se taper sur la tête. 

En parvenant à mieux les reconnaître, on peut ensuite plus facilement les apprivoiser, puis limiter leur impact et leur emprise. On peut, par exemple, s’exercer à prendre un pas de recul face aux pensées négatives. En effet, le fait de prendre conscience que ces pensées sont simplement des produits de l’esprit et qu’ils ne sont pas la réalité – ni encore une prédiction à laquelle on ne peut échapper – peut aider à réduire leur charge émotionnelle, leur effet anxiogène ou paralysant. 

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S’entourer de proches et d’amis de confiance avec qui partager ses pensées et ses émotions peut aussi s’avérer un soutien précieux dans les moments plus difficiles. Ceux-ci peuvent également nous aider à y voir un peu plus clair. De la même façon, se traiter comme on traiterait son meilleur ami peut aussi nous aider à ne pas sombrer dans les pensées biaisées. Ajoutons que les exercices de pleine conscience (relaxation, méditation ou exercices de respiration) peuvent aussi nous faire grand bien. 

Naviguer dans l’adversité

Il importe de comprendre que nous n’avons pas toujours le parfait contrôle de nos pensées ni des émotions qu’elles suscitent, et c’est normal. Il est toutefois possible de travailler sur nos pensées et d’adopter une posture plus réaliste, ce qui nous aidera à mieux adapter nos comportements à chaque situation, qu’elle soit positive ou négative. 

Au lieu de fuir dans la jovialité ou la déprime, essayons plutôt de trouver des manières plus constructives de faire face aux nouvelles situations. Identifier et apprivoiser la bête, lâcher prise et faire preuve de bienveillance envers soi-même (non, la maladie n’est pas une punition divine), voilà autant de façons de mieux gérer l’adversité. 

Nul n’y échappe : l’inconnu, les défis et les embûches font partie intégrante de l’expérience humaine. Il ne s’agit pas de les nier ni, encore, d’empirer la réalité. Il s’agit plutôt d’apprendre à mieux naviguer à travers les aléas de la vie, en se rappelant que nos moyens de défense contre nos angoisses font, eux aussi, partie de notre humanité. 

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