Loi sur la laïcité: la FAE en Cour suprême pour réclamer un encadrement de la clause dérogatoire

Patrick Bellerose
La Fédération autonome de l’enseignement rejoint le combat pour faire invalider la Loi sur la laïcité de l’État devant la Cour suprême. Et cette fois, le débat aura une portée d’un bout à l’autre du pays: le syndicat de professeurs demande d’encadrer le recours à la clause dérogatoire par les gouvernements afin d’éviter les dérives populistes.
Le très militant syndicat d’enseignants a déposé, vendredi dernier, une autorisation d’appel devant la Cour suprême, a appris notre Bureau parlementaire. Elle rejoint ainsi la commission scolaire English-Montreal, qui a annoncé son intention à la mi-avril.
En plus de protéger le droit au travail de ses membres, notamment les femmes voilées, la FAE veut profiter de l’occasion pour demander aux neuf juges d’imposer des balises à l’utilisation de la clause dérogatoire.
Incluse dès l’adoption du projet de loi interdisant le port de signes religieux aux employés de l’État en position d’autorité, celle-ci met le gouvernement Legault à l’abri d’une contestation devant les tribunaux.
- Écoutez l'entrevue avec Me Frédéric Bérard, avocat de la Fédération autonome de l’enseignement, à l’émission de Yasmine Abdelfadel via QUB :
Pour la présidente de la FAE, la Cour suprême doit élargir les balises minimales imposées par l’arrêt Ford, en 1988, où on exigeait uniquement de préciser à quelle portion de la Charte canadienne des droits et libertés le gouvernement entendait déroger.
«Depuis ce temps-là, particulièrement depuis 5 ans, on voit un peu partout au Canada et dans le monde en général de plus en plus de droits humains qui sont remis en question par une montée du populisme. On se met tout d’un coup, au nom de toutes sortes de principes qui sont plus ou moins fondés, à remettre en question des droits fondamentaux qu’on pensait acquis», explique Mélanie Hubert.
Populisme
«Aujourd’hui, [la clause dérogatoire] semble être utilisée de plus en plus facilement, pour toutes sortes de raisons», ajoute la présidente de la FAE.
Elle donne en exemple, bien sûr, la Loi sur la laïcité de l’État, mais également d’autres cas survenus ailleurs au Canada. (voyez l’encadré ci-dessous)
Un jour, les lobbys anti-avortement pourraient même pousser un gouvernement à utiliser cette approche pour limiter les droits des femmes, illustre-t-elle. «N’importe qui pourrait, à un moment ou à un autre, se retrouver concerné», fait valoir Mme Hubert.
L’avocat de la FAE, Me Frédéric Bérard, rappelle qu’au moment de l’adoption de la Charte, on affirmait qu’il y aurait un prix politique à payer pour recourir à cette «arme nucléaire» juridique.
Au contraire, les élus semblent désormais récompensés lorsqu’ils l’utilisent contre une minorité, dit celui qui est associé chez GBM Avocats, en rappelant les 90 sièges remportés par le gouvernement Legault.
Test
Pour autant, la FAE ne demande pas l’abolition de la clause «nonobstant».
Le syndicat propose plutôt d’exiger que les gouvernements soient obligés de démontrer le caractère «réel et urgent» du problème qu’ils visent à régler. La FAE s’inspire ainsi d’un des critères du test Oakes, mis de l’avant par la Cour suprême dans un jugement précédent.
Avec une telle approche, la réforme de la loi 101 passerait aisément la rampe, mais pas l’interdiction des signes religieux, estime Me Bérard.
«Le gouvernement n’a pas fait la démonstration du problème réel, urgent et concret qu’il souhaitait régler», dit Mélanie Hubert.
«Si on ne l’encadre pas, on pourrait se retrouver sous le joug d’un Parlement qui prend toutes sortes de décisions qui bafouent les droits en n’ayant aucune autre obligation que d’invoquer la clause dérogatoire.»
- Mélanie Hubert, présidente de la FAE
- Écoutez l'échange entre Guillaume Rousseaau, professeur titulaire à la Faculté de droit de l'Université de Sherbrooke et directeur scientifique de l'Institut de recherche sur le Québec (IRQ) et Richard Martineau via QUB :
La clause dérogatoire de plus en plus utilisée
- Au Québec: pour protéger la réforme de la loi 101 et la Loi sur la laïcité de l’État.
- En Ontario: dans le but de retirer le droit de grève aux enseignants.
- En Saskatchewan: pour empêcher les moins de 16 ans de changer de prénom et de pronoms à l’école sans l’accord de leurs parents.
- Au Nouveau-Brunswick: elle a aussi été envisagée pour limiter les droits des jeunes trans à l’école.
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