Loi spéciale pour changer le mode de rémunération: Québec sort la matraque contre les médecins
La loi spéciale déposée pour modifier la rémunération des médecins prévoit des pénalités si ceux-ci réduisent leur pratique de façon concertée

Patrick Bellerose
François Legault rêvait déjà de mettre les médecins au pas lorsqu’il a été ministre de la Santé au début des années 2000. Après l’échec des négociations, son gouvernement leur imposera finalement un nouveau mode de rémunération par le biais d’une loi spéciale dont l’adoption sous bâillon est prévue samedi, au petit matin.
Le projet de loi 2 aura l’effet d’un coup de massue dans la profession médicale: Québec gèle leur rémunération, impose l’atteinte de cibles de performance et prévoit des sanctions sévères pour les contestataires (voir encadrés).
À compter du 1er avril prochain, 10% de l’enveloppe salariale des médecins sera liée à l’atteinte de cibles de performance.
Par exemple, les omnipraticiens devront fournir 17,5 millions de rendez-vous chaque année. Les spécialistes, eux, devront réaliser au moins 97% des chirurgies dans un délai d’au plus 12 mois.
En parallèle, les Québécois seront pris en charge de façon collective par les médecins et les autres professionnels d’une clinique ou d’un CLSC.
«Pour être capable d’augmenter l’accès aux patients, il faut que les professionnels de la santé travaillent mieux ensemble, collaborent plus», a expliqué le ministre de la Santé, Christian Dubé, en mêlée de presse.
Médecine fast food
Mais les fédérations médicales et les partis d’opposition dénoncent cette approche au volume. «C’est de la médecine fast food», déplore notamment le chef libéral Pablo Rodriguez.
Comme la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec, le chef libéral plaide pour une approche qualitative.
Même discours du côté du Parti Québécois selon qui la réforme ne va pas «améliorer la qualité des soins».
«Ça va mettre le feu aux poudres et ça ne donnera pas un rendez-vous de plus pour la population», a ajouté la co-porte-parole de Québec solidaire, Ruba Ghazal.
Trio du statu quo
Mais le ministre Dubé ne voit pas les choses du même œil. «En ce moment, c’est un rendez-vous, un bobo», fait-il remarquer.
Grâce à l’introduction d’un taux horaire pour une partie de la rémunération, le médecin sera incité à consacrer plus de temps aux cas plus difficiles, estime le ministre.
En chambre, le premier ministre caquiste a déploré l’attitude des partis d’opposition, qui promettent pourtant eux aussi de revoir la rémunération des médecins s’ils prennent le pouvoir.
«De l’autre côté, on a le trio du statu quo», a lancé François Legault en chambre.
Lorsqu’il était ministre de la Santé, au début des années 2000, le chef caquiste s’était lui-même buté aux médecins spécialistes lors d’une négociation particulièrement difficile.
Il obtient aujourd’hui son match revanche, mais à quel prix?
Voici ce qui va changer
Une partie du salaire liée à la performance
Christian Dubé souhaitait d’abord lier jusqu’à 25% de la rémunération à l’atteinte de cibles de performance, tant pour les spécialistes que pour les omnipraticiens. Ce sera finalement seulement 10%.
Le président des médecins spécialistes soutient que les ressources ne sont pas au rendez-vous pour respecter les attentes de Québec. Le gouvernement s’engage toutefois à ajouter 150 millions$ par année pour leur fournir des moyens supplémentaires.
Les médecins devront atteindre des cibles en groupe, pour un territoire donné, certaines étant fixées à l’échelle régionale, d’autres nationales.
Des mesures sont prévues pour atténuer l’impact sur la rémunération des médecins de 63 ans et plus.
L’enveloppe salariale, elle, est virtuellement gelée jusqu’en 2028.
Malgré tout, le ministre rejette l’idée que sa réforme pourrait démotiver les futurs médecins ou en pousser d’autres vers la retraite.
Des pénalités importantes
Partir vers l’Ontario, se désaffilier du réseau public, prendre une retraite anticipée ou réduire le nombre d’heures travaillées pourrait coûter cher aux médecins qui refusent de rentrer dans le rang.
En effet, Québec a prévu des pénalités financières importantes: de 4000$ à 20 000$ par jour pour un médecin, et jusqu’à un demi-million pour sa fédération.
Mais attention, ces sanctions vont s’appliquer s’il s’agit d’une action «concertée» impliquant plus de trois personnes, ce qui ne semble pas évident à prouver.
Le ministre Dubé assure qu’une telle manœuvre sera «facile à voir», même si des médecins quittent déjà le réseau public chaque année.
Les médecins seront surveillés
Québec se dote de pouvoirs pour intervenir si des médecins décident de faire une grève du zèle, en ralentissant la cadence.
Ainsi, le gouvernement pourra nommer un responsable pour surveiller leur cadence et établir des horaires. Il sera également chargé de «dénoncer les manquements», le cas échéant.
«C’est le gouvernement qui va dire aux médecins: vous allez travailler tant de jours, tant d’heures, de telle façon. C’est une prison, c’est ridicule, ça ne fonctionnera pas», a tonné le président des médecins spécialistes en point de presse.
Tous les Québécois pris en charge en 2027
Avec ce projet de loi, la CAQ réalise une vieille promesse électorale... enfin presque.
En 2012, le jeune parti s’engageait à offrir un médecin de famille à chaque Québécois dans un délai d’un an.
En 2018, année de son arrivée au pouvoir, il s’agissait désormais d’avoir accès à un médecin ou à une superinfirmière en 36 heures.
Ce sera finalement un groupe de professionnels de la santé qui auront le mandat de prendre en charge les patients sur leur territoire à compter de 2027.
C’est ce que Christian Dubé appelle la prise en charge collective.