Loi 21: l’avenir de la laïcité en Cour d’appel
Michael Nguyen | Le Journal de Montréal
L’avenir de la Loi sur la laïcité de l’État commencera à se jouer dès ce matin devant le plus haut tribunal du Québec, qui sera appelé à décider si elle doit être maintenue ou plutôt complètement invalidée.
«Dix thèmes seront débattus, dont la clause dérogatoire, les droits fondamentaux, ceux des minorités linguistiques [...]. Dix-sept parties participeront au débat, chacune plaidant que le juge de première instance a commis des erreurs», a expliqué d’entrée de jeu la juge en chef Manon Savard, à l’ouverture de l’audience ce matin, dans une salle comble.
Depuis le jugement qui invalidait partiellement la loi 21 en avril 2021, tant ses défenseurs que ses opposants se sont préparés pour une nouvelle bataille, cette fois à la Cour d’appel du Québec. Et pendant les deux prochaines semaines, tous les groupes impliqués plaideront tour à tour devant l’instance judiciaire afin de faire valoir leurs arguments.
Au total, les trois juges de la Cour d’appel ont pris connaissance des 1500 pages de preuve et des 1065 pages et plus contenant les arguments des parties.
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Tensions
C’est que, loin d’avoir apaisé les tensions sociales, le jugement sur la Loi sur la laïcité de l’État n’a pratiquement fait que des mécontents. Cette loi inclut entre autres l’interdiction aux personnes en situation d’autorité, dont les enseignants, de porter des signes religieux durant leur quart de travail.
Elle est farouchement contestée par plusieurs organismes, avec en tête de file le Conseil national des musulmans canadiens, basé en Ontario. Le dirigeant de l’organisme, Stephen Brown, s’est d’ailleurs insurgé ce matin contre cette loi qui, selon lui, «porte atteinte à l’identité même de la société», et cela «sans justification quelconque».
«C’est un des plus grands enjeux d’égalité et des droits de la personne, a dit ce lundi Me Laura Berger, de l’Association canadienne des libertés civiles. Personne ne devrait être obligé de choisir entre leur carrière et leur foi.»
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Clause dérogatoire
En début d’audience, Me Frédéric Bérard, de la Fédération autonome de l'enseignement, a parlé de «moment historique» en assurant que la société en était à la croisée des chemins, où il fallait choisir entre «deux conceptions». Il a reproché au gouvernement d’avoir modifié la charte québécoise des droits et libertés afin d’adopter la loi 21 «en utilisant le bâillon».
«La clause dérogatoire ne peut pas être utilisée si l’objectif est illégitime, a renchéri Me Alexandra Belley-McKinnon, qui représente le Comité juridique de la coalition inclusion Québec. Elle ne fait qu’enlever des droits aux personnes.»
Dans sa décision, le juge Marc-André Blanchard avait maintenu la loi, laissant entendre qu’il avait les mains liées par l’utilisation de la clause dérogatoire par Québec. Et ce, même si elle «comporte des effets inhibiteurs importants et qu’elle empiète lourdement sur les droits à la liberté de conscience et de religion».
Le magistrat avait toutefois permis aux commissions scolaires anglophones et aux élus de l’Assemblée nationale de porter des signes religieux.
«Ça envoie comme message que ceux qui veulent porter des signes religieux ne peuvent le faire en français, mais qu’ils ont simplement à aller dans une commission scolaire anglophone. [...] C’est très divisif, tout ça», avait commenté Daniel Turp, constitutionnaliste et professeur à l’Université de Montréal.

Dès la publication de la décision, le ministre de la Justice du Québec, Simon Jolin-Barrette, avait annoncé qu’il contesterait la décision.
Sept autres groupes ont fait de même et, depuis un an et demi, tous se préparent à faire pencher la balance de leur côté.