L’IVAC suspendra leurs prestations le 14 octobre: des victimes d’actes criminels «traitées comme des numéros» à un mois de l’échéance


Vincent Desbiens
Des prestataires de l’Indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC) sont à bout de nerfs et à court de solutions: alors qu’elles ont été informées qu’elles ne pourraient plus toucher de salaire de remplacement à partir du 14 octobre, elles se sentent «traitées comme des numéros» par le ministère de la Justice.
«J’ai multiplié les démarches pour savoir ce qui m’attend après la date limite. L’IVAC m’a dit que c’est dans les mains du ministre de la Justice, que mon dossier est en évaluation. Je ne sais pas si je vais avoir assez d’argent pour payer mon loyer du mois prochain. Je capote...», déplore Nadine Brillant, qui a appris à la télévision que son ex-mari avait tué ses deux enfants et s’était enlevé la vie dans un incendie volontaire, à Warwick en juillet 2012.

Même son de cloche pour Sonia*, une femme victime de violence conjugale et d’agression, qui confie vivre «un immense stress supplémentaire» devant la possibilité qu’elle n’ait plus les moyens de subvenir convenablement aux besoins de sa famille si l’aide financière lui est retirée, en attendant que son dossier soit évalué.
«C’est terrible de nous tenir dans l’ignorance comme ça. Ça fait des années que je me bats chaque jour pour me reconstruire après ce que j’ai vécu. Je ne suis pas apte à retourner au travail, mais je n’aurai peut-être pas le choix...»
« Inhumain »
Tout comme ces deux femmes, Manon Chartrand a reçu une lettre l’informant que l’aide financière de l’IVAC serait suspendue à partir de la mi-octobre, sauf si elle a maintenu un lien avec son employeur ou si ses séquelles sont jugées particulièrement lourdes.
«J’ai eu cette lettre-là en avril. Depuis, j’ai appelé des dizaines de fois à l’IVAC, mais je ne sais pas si je respecte les conditions d’admissibilité et il est minuit moins une. On est traitées comme des numéros, c’est inhumain», soutient la dame à qui on a diagnostiqué une fibromyalgie et un choc post-traumatique en lien avec des agressions multiples subies pendant son enfance.
Nadine Brillant affirme que le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, et le gouvernement «manquent sérieusement d’empathie». Elle a l’impression d’être vue par l’État comme «une dépense qu’on peut couper froidement».
«Que [le ministre] vienne dans nos souliers une semaine. S’il n’est pas devenu fou ou qu’il ne s’est pas tué, je serai surprise. [...] Il va y avoir des suicides et des faillites à cause de tout ça si on laisse les gens dans le noir, sans revenu, j’en suis certaine.»

Compromis
Mme Brillant se dit toutefois consciente qu’il n’est pas possible pour le gouvernement de faire vivre toutes les victimes d’actes criminels jusqu’à leur retraite. Elle propose plutôt un compromis entre le fait de les «abandonner à leur sort» et de leur assurer un revenu permanent.
«On m’a expliqué que j’étais probablement admissible à un montant forfaitaire pour séquelles permanentes. Par contre, je ne pourrai pas recevoir de prestations en attendant de l’obtenir... Comment je vais faire pour payer mon épicerie pendant le délai de traitement? Pourquoi est-ce que l’IVAC ne continue pas de payer jusqu’à ce que la victime ait reçu son argent? Je suis sûre que ça en arrangerait plusieurs, comme solution», suggère-t-elle.
* Cette victime indemnisée par l’IVAC depuis 2018 a demandé que son identité demeure confidentielle, par crainte de représailles.
L’IVAC «en communication constante» avec les victimes, plaide la Justice
Le ministère de la Justice se défend de laisser les personnes victimes d’actes criminels dans le noir à l’approche de la suspension des indemnités de l’IVAC. Il soutient que l’organisme est «en communication constante» avec elles depuis près d’un an.
«Depuis janvier 2024, toutes les personnes victimes ont été individuellement contactées. Des lettres ont également été transmises pour les informer des différentes options qui s’offrent à elles», précise Cathy Chenard, une porte-parole du ministère.
Trois options
Elle soutient que les 1700 personnes qui sont visées par l’interruption à venir se sont fait présenter trois options.
Si la victime a maintenu un lien d’emploi et qu’elle n’est pas apte à travailler, elle aura droit à une compensation. Si elle n’est pas en mesure de retourner au travail, qu’elle n’est plus employée et qu’elle souffre de séquelles permanentes qui l’empêchent de se déplacer ou de voir à son hygiène, une indemnité pourrait lui être versée. Ces deux possibilités offriraient un soutien économique pour une période de trois ans.
Une personne pourrait aussi décider d’intégrer le programme de réinsertion professionnelle et recevrait ainsi l’aide du gouvernement pour une période maximale de deux ans.
Dans tous les cas, l’incapacité à travailler de la victime d’acte criminel doit être prouvée par un examen médical avant d’être traitée par l’IVAC en vertu de plusieurs critères qui restent à préciser.
Pendant le délai de traitement, certaines personnes seront admissibles à une aide temporaire de 10 semaines «si la direction générale de l’IVAC considère que leur demande sera probablement accordée».
Marche arrière
Devant le «désastre administratif» qui s’annonce, les partis d’opposition à l’Assemblée nationale implorent à nouveau le ministre Jolin-Barrette de faire marche arrière et de repousser l’entrée en vigueur du nouveau système prévue dans un mois.
«On avait prévenu le ministre qu’il frapperait un mur et on y est, fait valoir le porte-parole du Parti libéral du Québec en matière de justice, André A. Morin. Il faut avoir l’humilité d’admettre qu’on s’est trompé et adapter la législation.»

Son homologue de Québec solidaire, Guillaume Cliche-Rivard, demande au ministère de s’assurer que chacune des victimes aura droit à une aide financière jusqu’à ce que l’IVAC rende sa décision finale.
«Ces gens ne sont pas responsables des délais du gouvernement. On n’est pas à six mois près. Il faut mettre de l’ordre dans toute cette histoire avant de couper quoi que ce soit.»

Au Parti Québécois, on aimerait que le gouvernement se tourne plutôt vers la solution proposée par le Protecteur du citoyen lors des débats entourant la réforme du programme de l’IVAC, en 2021.
«La solution la plus humaine serait de faire un suivi médical des personnes concernées pour mettre fin à l’indemnité quand elles n’en ont plus besoin», conclut le porte-parole en matière de justice, Pascal Paradis.

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