Lion Électrique a bénéficié deux fois de subventions pour des camions défectueux
Les gouvernements ont versé des millions de dollars pour des camions qui ont bien peu roulé


Sylvain Larocque
Lion Électrique a trouvé une façon de bénéficier deux fois de généreuses subventions – jusqu’à 480 000$ par véhicule – pour des camions défectueux retournés par des clients insatisfaits.
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Selon des informations obtenues par Le Journal, Lion a offert à une vingtaine de clients de reprendre leur camion qui ne fonctionnait pas bien et de le remplacer par un nouveau véhicule.
Le hic, c’est qu’au passage, Lion bénéficiait une deuxième fois des subventions offertes par Québec et Ottawa, ce qui est pourtant interdit.
«Ça ne te coûtera rien»
«Les clients se sont fait dire: “Ça ne te coûtera rien”», raconte un ex-salarié de Lion Électrique qui a requis l’anonymat.
Le modus operandi était le suivant: le constructeur rachetait le camion défectueux du client pour environ 100 000$, puis lui en vendait un nouveau au même prix.
Le client touchait les subventions de Québec et d’Ottawa, soit environ 240 000$ au total, pour cet «achat», de sorte que le véhicule de remplacement, dont le prix affiché était d’environ 340 000$, ne lui coûtait rien, sauf les taxes.
Pour Lion, le procédé présentait deux avantages: il permettait de donner satisfaction, du moins en partie, à un client mécontent, tout en générant une nouvelle vente qui bonifiait les résultats trimestriels de l’entreprise.

Les règles sont claires
Or, le ministère des Transports du Québec, responsable du programme de subventions Écocamionnage, a confirmé au Journal que cette façon de faire ne respectait pas les règles.
Celles-ci stipulent que «la technologie subventionnée [...] ne peut pas être vendue [...] sans que la ministre soit avisée au préalable, et ce, pour une durée minimale de trois ans à compter de la date d’acquisition», a précisé une porte-parole du ministère, Émilie Lord.
Lorsqu’un constructeur décide de remplacer un véhicule déficient, le «nouveau véhicule ne pourra pas recevoir une aide financière puisqu’il ne s’agit pas d’un véhicule supplémentaire, mais bien d’un véhicule qui vient remplacer un véhicule défectueux déjà subventionné», a-t-elle ajouté.
Mme Lord a toutefois indiqué que le gouvernement n’avait pas, jusqu’ici, «imposé de sanctions» à des entreprises pour de telles infractions.
De son côté, le ministère fédéral des Transports n’a pas voulu dire si la manœuvre de Lion contrevenait aux règles.
Comble de l’ironie, plusieurs clients qui ont reçu des camions de remplacement n’étaient toujours pas satisfaits, de sorte que leurs véhicules, subventionnés deux fois, ont finalement bien peu roulé.
Invitée à réagir, Lion Électrique n'a pas répondu au Journal.
«Ça faisait un an et demi qu’on savait qu’on s’en allait dans le mur»
Les camions de Lion Électrique ont été si mal conçus qu’il est peu probable que l’entreprise puisse poursuivre leur commercialisation, ont confié d’anciens employés au Journal.
«Ça faisait un an et demi qu’on savait qu’on s’en allait dans le mur, raconte un ex-salarié sous le couvert de l’anonymat. On n’était plus capables de vendre de camions parce que les clients n’en voulaient plus.»
Un exemple parmi d’autres: le géant Amazon, qui était prêt à acheter jusqu’à 2500 camions Lion en 2021, a mis fin à l’aventure après avoir reçu à peine cinq véhicules.
«Je ne vois pas comment Lion pourra poursuivre le volet camions avec la concurrence qui vient des grands joueurs présentement, ajoute l’ex-employé. Ce n’est pas viable.»

Travailleurs licenciés
Celui-ci note que la quasi-totalité des travailleurs rattachés au secteur des camions a perdu son boulot dans le cadre du licenciement de 400 salariés annoncé par Lion au début du mois.
Selon lui, Lion a «creusé son trou» en se lançant en Bourse en 2021, ce qui a amené l’entreprise, alors connue pour ses autobus scolaires, à vouloir aller trop vite dans le développement de ses camions.
«On était obligés de sortir des camions, dit-il. On ne pouvait pas se permettre de les tester pendant des mois. On a donc mis des véhicules sur la route qui n’étaient pas fiables, qui ne fonctionnaient pas.»
Improvisation
«On s’est lancés dans un produit que personne ne connaissait vraiment et on l’a fait de travers, renchérit un autre ex-salarié. Les clients sont habitués d’avoir une certaine fiabilité pour leurs véhicules. Chez Lion, il a fallu improviser pour des éléments comme le chauffage, la climatisation, le freinage, le dégivrage, la structure... Ce sont des choses que les grands constructeurs maîtrisent depuis des années.»
Contrairement à Lion, les entreprises établies comme Peterbilt peuvent financer le développement de leurs camions électriques avec les ventes de véhicules à combustion. Elles peuvent aussi offrir des camions de rechange diesel lorsqu’un véhicule électrique connaît des problèmes, ce qui rassure les clients.
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