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L'article provient de Le Journal de Montréal
Affaires

L’intérêt des Chinois pour le lithium suscite des craintes au Canada

Le Québec souhaite que ce minerai soit transformé ici

North American Lithium, de La Corne, en Abitibi.
North American Lithium, de La Corne, en Abitibi. Photo TVA Nouvelles
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Photo portrait de Martin Jolicoeur

Martin Jolicoeur

2022-01-31T05:00:00Z
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L’intérêt grandissant de pays étrangers, en particulier de la Chine, pour les réserves de minéraux critiques dont regorgent le Québec et le reste du Canada inquiète de plus en plus d’observateurs des milieux économiques et politiques du pays.

L’autorisation par Ottawa cet automne de la prise de contrôle de la société canadienne Neo Lithium, par Zijin Mining Group, une société d’État chinoise, a semblé marquer les esprits et déclencher une vague d’indignation, au Canada anglais surtout.

« C’est l’avenir économique du Canada qui est en jeux ici. On parle aussi de sa sécurité nationale, a déclaré Wesley Wark, professeur à l’Université d’Ottawa. [...] C’est une décision malheureuse [...] le reflet d’une politique désuète [...] et les explications du gouvernement sont pour moi insatisfaisantes. »

Comité permanent

C’est ainsi que l’expert en sécurité nationale s’est exprimé, comme d’autres, la semaine dernière, devant le Comité permanent de l’industrie et de la technologie de la Chambre des communes, qui a choisi de se pencher sur la question. 

Ce comité, composé de membres élus de chaque parti, réalise des études et fait des propositions au gouvernement. Plusieurs se sont dits étonnés que la vente de Neo Lithium à une société d’État chinoise n’ait pas fait l’objet d’un examen plus poussé des fonctionnaires, ce qu’a nié en bloc le ministre de l’Industrie, François-Philippe Champagne.

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Domination de la Chine

Expert des questions géopolitiques et de sécurité énergétique au Center for Strategic and International Studies de Washington, le professeur Nikos Tsafos rappelle que les minéraux critiques, dont fait partie le lithium, ont vu leur importance décupler avec l’avènement notamment des voitures électriques. 

« Il faut être très clair ; la chaîne d’approvisionnement [de la batterie électrique] doit devenir plus diversifiée qu’elle ne l’est actuellement. [...] La Chine a déjà une position dominante dans les minéraux critiques, appelés à devenir encore plus importants que ne l’est le pétrole actuellement. [...] Dans ce contexte, devrait-on nous préoccuper de qui contrôle cette industrie ? Moi, je réponds oui. »

Cas particulier

Tenu au secret, le ministre Champagne
s’est montré avare d’explications sur les raisons ayant mené au feu vert de son ministère. Toutefois, le cas de Neo Lithium semble se distinguer de la plupart des transactions étudiées par son ministère.

De fait, bien qu’enregistrée au Canada, Neo Lithium n’aurait aucune activité au pays. Les membres de son conseil d’administration sont basés au Royaume-Uni. Et l’essentiel de ses employés est établi en Argentine, où se trouve le gisement de carbonate de lithium que l’entreprise veut exploiter.

Sécurité nationale

Une situation particulière qui fait dire à l’ancien ambassadeur du Canada en Chine Guy St-Jacques, d’ordinaire critique à l’endroit du régime chinois, que la décision d’Ottawa de donner son aval à la transaction n’était peut-être pas la mauvaise. 

« La Chine ne respecte pas les règles de commerce international [...] et se sert du commerce comme d’une arme [...]. Mais dans le cas de Neo Lithium, j’ai peine à en voir un enjeu de sécurité nationale. »

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« Ce que je critiquerais, poursuit-il, ce serait plutôt l’absence de stratégie nationale pour encourager l’exploitation de ces ressources au pays et nous assurer que le Canada puisse jouer un rôle clef dans ce secteur. »

Ne plus vivre ça

Une stratégie que tente justement de mettre en place le gouvernement du Québec, engagé dans une course contre la montre pour s’inscrire dans une telle nouvelle chaîne d’approvisionnement nord-américaine. 

Sans prendre position dans le dossier de la vente de Neo Lithium, le ministre Pierre Fitzgibbon a dit qu’au-delà de la stricte question de la propriété de l’exploitation minière, il croit en l’importance de retenir sur le territoire un maximum d’activités de transformation, issues de l’extraction.

« Les “étrangers” sont bienvenus au Québec ; mais à une condition : on va tout faire ici, résume le ministre. On ne veut pas revivre ce qui se passait chez North American Lithium, où l’on exportait notre spodumène en Chine. Ça, on ne veut plus revivre ça. » 


Le lithium au Québec (situation actuelle)

Projets miniers dans le lithium et nom de la société propriétaire 

  • Lithium Amérique du Nord (Sayona Mining) 
  • Authier (Sayona Mining) 
  • Whabouchi (Nemaska Lithium) 
  • James Bay Lithium (Galaxy Lithium One) 
  • Rose (Corporation Lithium Éléments Critiques) 
  • Moblan Lithium (Néotec Lithium – Lithium Guo AO)  

Source : Gouvernement du Québec, 2021 

Ce qu’ils ont dit...  

« Je vous assure que nous avons procédé à une étude de sécurité minutieuse du dossier de Neo Lithium. Au moindre soupçon, nous aurions agi sans hésitation comme dans les dossiers de TMAC et China Mobile. »

– François-Philippe Champagne, ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie

« Il faut se montrer particulièrement attentif devant l’intérêt d’une société chinoise dans les secteurs stratégiques comme l’intelligence artificielle et les minéraux critiques. »

– Guy St-Jacques, ex-ambassadeur du Canada en Chine

« La Chine est un partenaire du Canada sur certains plans, mais la Chine est également un acteur sophistiqué dans le domaine du renseignement. Un acteur puissant. »

– Cherri Henderson, directrice adjointe, Canadian Security Intelligence Service

« Idéalement, on aurait 100 % de tout [...] L’important pour le Québec est que l’on puisse convertir notre minerai le plus loin possible dans la chaîne de valeur. »

– Pierre Fitzgibbon, ministre de l’Économie et de l’Innovation

« Il faut cesser d’étudier chaque transaction individuellement [...] Il faut analyser la situation plus largement. Autrement, on va se réveiller un jour et il sera trop tard. »

– Jeffrey Kucharski, professeur spécialisé en sécurité énergétique, à la Royal Roads University, de Victoria

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