L’inquiétude monte au sein de la droite canadienne


Josée Legault
La remontée fulgurante des libéraux de Mark Carney désarçonne la droite canadienne et québécoise. Il est vrai que rien n’est joué. La réalité actuelle est cependant que ça ne va plus pour les conservateurs de Pierre Poilievre.
Depuis le départ de Justin Trudeau et la guerre commerciale lancée par Donald Trump, leur avance tenace de 20 points a disparu. Après avoir humé pendant deux ans le doux parfum du pouvoir, la droite retient son souffle.
L’inquiétude y monte à vue d’œil et les indices ne manquent pas.
Tout d’abord, le chef conservateur, après avoir rendu Justin Trudeau responsable de tous les maux de la terre et l’avoir associé aux élites mondialistes, tente de servir la même soupe à Mark Carney.
Face à un nouveau chef libéral et premier ministre nettement plus populaire que son prédécesseur, la méthode s’avère toutefois moins efficace.
Lundi, lors d’un grand rallye à Edmonton – l’Alberta étant un fief conservateur sûr –, l’ex-premier ministre Stephen Harper a même senti le besoin de sauter dans l’arène.
Il a encensé M. Poilievre et s’en est pris à M. Carney, qu’il avait pourtant nommé gouverneur de la Banque du Canada et à qui il avait offert le poste de ministre des Finances.
En colère, Preston Manning, chef fondateur du Reform Party albertain, a aussi prédit la sécession de l’Ouest canadien si les libéraux sont réélus.
Anxiété
L’anxiété au sein de la droite déborde jusque chez des commentateurs plus près de celle-ci. Certains s’en prennent à l’intelligence des électeurs, d’autres y voient un complot des sondeurs, de la CBC et de Radio-Canada.
En cela, la droite canadienne récolte ce qu’elle a semé en se donnant au fédéral le chef de parti le plus radicalement à droite de l’échiquier idéologique, le plus abrasif et le plus clivant de l’histoire moderne du Canada.
Or, face à Trump, de nombreux Canadiens et Québécois sont maintenant en quête d’un prochain premier ministre aux antipodes de la recette Poilievre.
Ils se cherchent un leader dont l’image est plus rassembleuse, posée et crédible. Hormis pour le noyau dur conservateur, cette personne serait Mark Carney. Du moins, jusqu’à maintenant.
Les casseroles politiques de Pierre Poilievre n’ont pas disparu non plus. Le chef conservateur est un pur produit du défunt Reform Party albertain. Un parti réputé à l’époque pour sa vision d’une droite dure décomplexée et sa proximité naturelle avec les républicains américains.
Examen de conscience
Malgré son relooking physique et son sourire forcé de campagne électorale, la réputation de «mini-Trump» canadien de Pierre Poilievre ne l’aide pas plus à élargir la base de son parti, dont un tiers admire Donald Trump.
Qualifié d’analyse «convaincante» par le Globe & Mail, le dernier livre du journaliste canadien Mark Bourrie risque de le rappeler aux électeurs.
Son titre, Ripper: The Making of Pierre Poilievre (L’éventreur: La genèse de Pierre Poilievre), décrit avec détails un chef politique issu de l’ultradroite albertaine et porté depuis sur la division et l’attaque.
L’auteur rappelle comment le soutien de M. Poilievre au «convoi de la liberté» qui, en 2022, occupait illégalement Ottawa et dont les liens étroits avec le mouvement trumpiste étaient connus, lui faciliterait aussi par la suite l’obtention de la chefferie du PCC.
Redisons-le néanmoins: rien n’est joué. Pour la droite canadienne, si elle devait rater son coup malgré dix ans de règne libéral, un sérieux examen de conscience l’attendrait néanmoins. J’y reviendrai.