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L'article provient de Le Journal de Montréal
Culture

L’Indochine à feu et à sang

Photo courtoisie, Bruno Levy
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Photo portrait de Marie-France Bornais

Marie-France Bornais

2022-03-26T04:00:00Z
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Après avoir été récompensé du prix Goncourt en 2013 pour Au revoir là-haut, roman saisissant sur la Première Guerre mondiale et remarquable fresque de l’entre-deux-guerres, l’écrivain et scénariste français Pierre Lemaitre propose cette année une plongée mouvementée dans la guerre d’Indochine dans son nouveau roman, Le Grand Monde. Entre la France et le Vietnam, le scandale du trafic des piastres se dessine.

Pierre Lemaitre raconte l’histoire d’une famille française, les Pelletier, immergée au cœur d’une période mouvementée de l’histoire. La guerre qui fait rage en Indochine aura chez elle des répercussions tragiques.

Pierre Lamaitre s’est abondamment documenté sur la guerre d’Indochine et le fameux trafic des piastres – un scandale financier et politique de la fin des années 40 – pour écrire Le Grand Monde. Dans ce roman ambitieux et passionnant, où il y a beaucoup d’action, se mêlent les histoires de guerre, les histoires de famille et les histoires d’amour (y compris celles qui finissent mal). Un formidable travail.

La guerre d’Indochine, un important conflit armé, s’est déroulée de 1946 à 1954 sur les territoires de l’Indochine française (aujourd’hui Vietnam, Laos et Cambodge).

« Depuis le début de la suite romanesque que je consacre au 20e siècle, j’ai toujours pris les grands événements un peu à rebours. La Première Guerre mondiale, je l’ai prise à travers l’après-guerre. La Seconde Guerre mondiale, je l’ai prise à travers l’exode et non pas à travers l’Occupation ou la Résistance. J’ai voulu placer l’œil de la caméra dans une espèce d’angle mort, d’angle faible. »

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« La guerre d’Indochine a été oubliée – j’ai envie même de dire qu’elle était oubliée du temps où elle se passait. C’est une guerre qui n’intéressait pas les gens parce que c’était une guerre dans laquelle on n’envoyait que des soldats de carrière, que des militaires. C’est pas une guerre de conscription où les familles françaises voyaient leurs fils partir faire leur service militaire dans un pays en guerre. »

La guerre d’Indochine a été en quelque sorte éclipsée par la guerre d’Algérie, qui a pris l’avant-plan. 

« Il y a plein de raisons pour lesquelles cette guerre n’intéressait pas et ce sont toutes ces raisons-là qui font que moi, je m’y suis intéressé. »

Le capitalisme français

Pierre Lemaitre, en faisant ses recherches, s’est rendu compte que la guerre d’Indochine parlait très bien des Trente Glorieuses. 

« C’est la période de réussite du grand capitalisme français, celle des années 1950 à 1975. Les gens gagnaient de l’argent, les ménages s’installaient. Cette guerre était une guerre capitaliste : elle n’avait aucune autre justification que celle du capitalisme. Elle me semblait sur ce plan un bon miroir de la période dans laquelle elle s’inscrivait. »

À travers la vie des différents personnages, l’écrivain aborde le scandale des piastres indochinoises. « C’était un montage financier : l’idée que la piastre est surévaluée et quand on change des piastres en francs, on gagne deux fois ce qu’on aurait dû gagner en temps normal. Ce n’est pas compliqué. Mais ce qui, à mon avis, est plus compliqué, c’est de comprendre pourquoi tout le monde continuait d’encourager ce trafic, qui était connu du gouvernement. »

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La guérilla

Il s’est questionné encore et encore sur ce sujet pendant l’écriture. « Je crois que la raison en est la suivante : le gouvernement s’est rendu compte assez vite que cette guerre ne pouvait pas être gagnée sur le plan militaire. »

« La manière dont le peuple indochinois organisait la guerre était une stratégie qui était totalement méconnue de l’armée française. Elle se retrouvait devant une guerre de troisième type, qui était la guérilla. L’armée française n’était absolument pas à la hauteur pour lutter contre ce système de guérilla. Au fond, le gouvernement français, comprenant qu’il ne pouvait pas gagner militairement, a essayé d’acheter le pays. » 

  • Pierre Lemaitre est écrivain et scénariste. 
  • Ses romans ont été récompensés par de nombreux prix littéraires nationaux et internationaux. 
  • En 2013, le prix Goncourt lui est décerné pour Au revoir là-haut, premier volet de sa trilogie Les enfants du désastre
  • En 2018, il a reçu le César de la meilleure adaptation avec Albert Dupontel pour ce même roman. 
  • En France, Le Grand Monde s’est retrouvé au sommet des palmarès des meilleures ventes dès sa sortie et 150 000 exemplaires du livre ont été vendus en quatre semaines.   

EXTRAIT 

Photo courtoisie
Photo courtoisie

« La bataille qui faisait rage de l’autre côté de la route s’intensifiait, la diversion jouait parfaitement son rôle. Ils furent désarmés en quelques secondes, un canon de fusil sur la tempe, dans la nuque, dans le dos, il ne fallut pas trois minutes pour que les Viêts leur attachent les mains et les poussent, à coup de crosse, vers la forêt dans laquelle ils disparurent comme des pierres dans un étang. La broussaille était si dense que les bruits de la bataille s’affaiblirent rapidement puis s’éteignirent. Un peu plus loin, les otages furent agenouillés, bâillonnés, le chef était un type sec, sans âge, au torse creux, au visage maigre, aux yeux fervents. Chacun reçut une volée de coups, c’était un message que tout le monde comprit parfaitement, ne jouez pas aux malins, on ne va pas faire dans la dentelle. »

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