L’histoire singulière d’Hélène Boullé: mariée à de Samuel de Champlain alors qu’elle n’avait que 12 ans

Martin Landry
On la connaît à peine. Pourtant, son prénom est gravé dans la géographie du Québec. L’île Sainte-Hélène à Montréal, entre autres, lui doit son nom. Derrière ce clin d’œil discret de l’histoire se cache une vie méconnue, digne d’un grand roman historique.

Hélène Boullé, mariée de force à 12 ans à un explorateur célèbre, aura cependant réussi à reprendre sa destinée en main. Voici le portrait d’une femme qui a défié les conventions et suivi, coûte que coûte, la voix de sa conscience.
UN DESTIN SCELLÉ TRÈS TÔT
Hélène Boullé naît en 1598 à Paris. Elle grandit dans une famille aisée, son père, Nicolas Boullé, est secrétaire du roi Henri IV. Sa mère, Marguerite Alix, est issue du protestantisme calviniste. Le couple a quatre enfants, mais c’est Hélène qui retient l’attention par son intelligence vive et sa personnalité lumineuse.
En 1610, alors qu’elle n’a que 12 ans, ses parents la marient à Samuel de Champlain, explorateur de renom, fondateur de la ville de Québec. Il a 40 ans, elle n’est pas nubile (pubère). L’union choque, même à l’époque.
Cependant, elle doit suivre les règles de son temps où les jeunes femmes font l’objet de tractation pour consolider des alliances et aider certaines familles ambitieuses à faire avancer leurs intérêts.
Ce mariage serait, dit-on, manigancé par un ami de Champlain, Pierre Dugua de Mons. Le contrat est clair : la cohabitation devra attendre deux ans.

UN EXIL SOLITAIRE
À 14 ans, Hélène de Champlain se convertit au catholicisme, la religion de son mari. Est-ce par amour, par devoir, par conviction ? Nous pensons que c’est son choix. Nul ne le sait, mais cette décision importante montre déjà une jeune fille capable de prendre position, même dans une société où les femmes n’ont pas voix au chapitre.
Hélène reste longtemps en France tandis que Champlain voyage en Amérique, occupé à bâtir la Nouvelle-France. Toutefois, en 1620, à 22 ans, elle le rejoint au Canada. Un choix courageux, presque insensé pour une jeune Parisienne élevée dans le confort et la culture.
La traversée de l’Atlantique mène Hélène de Champlain à Québec, dans une colonie encore fragile. Son arrivée est un petit événement. C’est tout de même la femme du gouverneur qui débarque ! Dans un monde quasi exclusivement masculin, sa présence intrigue, fascine, et inquiète.

Élevée dans le raffinement parisien, Hélène découvre une réalité austère derrière les fortifications de Québec.
On sait qu’elle ne mettra pas trop de temps à sortir de sa surprise et qu’elle s’ouvrira aux peuples autochtones qui côtoient l’établissement colonial. Elle apprend même leur langue et enseigne le catéchisme aux enfants algonquins.
La jeune Hélène porte un petit miroir à sa ceinture, un objet qui attire l’attention, particulièrement des Autochtones qui se demandent si elle est une créature extraordinaire.

En fait, elle illumine la colonie par sa grâce, sa curiosité, son énergie. Mgr Tessier dira qu’elle « ensoleilla la petite colonie ».
Pourtant, derrière cette lumière se cache une profonde solitude. Son mari, toujours absent, la laisse seule dans un monde où elle ne trouve pas sa place.
Après quatre années dans la vallée du Saint-Laurent, elle retourne en France et ne reviendra plus jamais en Amérique.
UNE FEMME ÉTONNAMMENT LIBRE
De retour à Paris en 1624, Hélène ne se contente pas d’une vie discrète. Elle prend les rênes des affaires de son mari en son absence.
En son nom, elle poursuit un marchand, Guillaume de Caën, pour récupérer des sommes dues. Elle suit les conflits coloniaux à distance, comme une véritable partenaire politique de Champlain.
Lorsque ce dernier meurt en 1635, elle affronte une tempête d’enjeux juridiques : un testament contesté, des droits de succession bafoués entre autres.
Plutôt que de s’embarquer dans des querelles sans fin, elle renonce à ses biens, fidèle à son caractère pacifique et résolu. Elle n’est pas intéressée par les richesses. Son regard est ailleurs.
UNE VIE MONASTIQUE
Depuis des années, Hélène caressait secrètement un rêve, celui de devenir religieuse. Champlain, de son vivant, s’y était toujours opposé.
Une fois veuve, elle se tourne vers les Ursulines, un ordre qui accueille les femmes éduquées, engagées dans l’enseignement et la foi. En 1645, elle entre au couvent de Paris et prend le nom de sœur Hélène de Saint-Augustin.
Mais là encore, sa liberté d’esprit dérange. Loin d’être soumise, elle trouve les règles rigides, le quotidien pesant. Encore novice, elle quittera le couvent pour en fonder un autre, à Meaux. Dans cette ville plus modeste, elle bâtit un monastère à son image, un lieu actif, engagé et accueillant. Elle y meurt en 1654, à l’âge de 56 ans, après huit jours de maladie.
DANS UN MONDE D’HOMMES
Que reste-t-il de l’héritage d’Hélène Boullé aujourd’hui ? Quelques lignes dans des manuels, un nom donné à une île, quelques écoles et rues. Trop peu à mon avis pour cette femme qui, mariée contre son gré, a trouvé la force de devenir elle-même.