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L'article provient de Le Journal de Montréal
Opinions

L’étrange stratégie médiatique de Pierre Poilievre

Alors que les électeurs se cherchent un premier ministre rassembleur et entouré d’une équipe solide, l’étrange solitude du chef conservateur sur scène soulève des doutes sur ses talents de leader.
Alors que les électeurs se cherchent un premier ministre rassembleur et entouré d’une équipe solide, l’étrange solitude du chef conservateur sur scène soulève des doutes sur ses talents de leader. Captures d’écran TVA Nouvelles
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Photo portrait de Josée Legault

Josée Legault

2025-04-11T04:00:00Z
2025-04-11T04:15:00Z
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Robert Bourassa adorait échanger avec les journalistes. Jean Charest, tour à tour chef du Parti progressiste-conservateur au fédéral et du Parti libéral au Québec, disait aussi qu’«un politicien qui se plaint des journalistes, c’est comme un poisson qui se plaint de l’eau».

Aux antipodes, l’ex-premier ministre conservateur Stephen Harper se méfiait des médias comme de la peste. Un trait classique de la droite populiste.

Depuis son accession à la chefferie conservatrice en 2022, Pierre Poilievre est passé quant à lui de la méfiance au mépris au contrôle excessif. Un trait malheureusement classique du trumpisme.

Résultat: ses conseillers ont beau lui dire de sourire et de «remercier» les journalistes pour leurs questions, les tensions s’accumulent inévitablement entre M. Poilievre et les médias, qu’il voit de toute évidence comme de vulgaires vassaux de la «gauche» radicale ou du PLC.

Lorsqu’il est questionné, il prend même plaisir à questionner les journalistes en retour. La tension est palpable et contre-productive pour lui-même.

Il faut dire que le chef conservateur a tout fait pour éloigner les médias de sa campagne. Au fédéral, il est le seul et le premier chef à interdire aux journalistes de suivre sa campagne à bord d’un avion ou d’un autobus aux frais des médias eux-mêmes comme c’est toujours le cas.

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Il restreint sévèrement le nombre de journalistes à ses points de presse. Son équipe sélectionne même les quatre journalistes à peine «autorisés» à poser des questions sans la moindre sous-question en plus.

En vase clos

Selon un décompte réalisé par Radio-Canada à la mi-campagne, M. Poilievre n’a donc répondu qu’à 79 questions. Le chef libéral Mark Carney en a pris 160. Pour le chef bloquiste, Yves-François Blanchet, c’est 239 et pour Jagmeet Singh, chef du NPD, 266.

Le plus inquiétant est que le comportement de M. Poilievre avec les médias – lesquels sont une interface essentielle en démocratie entre les candidats et l’électorat – trahit un penchant autoritaire de plus en plus visible.

Sur le plan stratégique, la méthode Poilievre est également d’une ineptie sidérante. En éloignant et en contrôlant à ce point les médias, il prive sa propre campagne d’une couverture étendue et détaillée.

Au lieu de tenter d’élargir ses appuis au-delà de son noyau dur, il mène ainsi une campagne en vase clos pour électeurs conservateurs déjà convaincus.

Un chef seul sur scène

Dans la mesure où la tempête Trump et l’arrivée de Mark Carney ont fait fondre l’avance de 20 points des conservateurs, se priver d’une couverture élargie témoigne d’un entêtement de nature toute trumpienne.

L’obsession de contrôle de M. Poilievre se voit aussi dans l’absence de candidats autour de lui lorsqu’il monte sur scène. Pourquoi craint-il de les montrer et de les laisser parler? Ce sont pourtant ceux et celles qui gouverneraient le Canada si les conservateurs prenaient le pouvoir.

Pendant que les électeurs se cherchent un premier ministre rassembleur et entouré d’une équipe solide pour transiger avec Trump, l’étrange solitude du chef conservateur sur scène soulève des doutes sur ses talents de leader.

D’où les nombreux sondages qui, jusqu’ici, le défavorisent au profit de Mark Carney malgré même les dix ans bien sonnés du PLC au pouvoir.

Selon un sondage Nanos-La Presse-The Globe and Mail publié jeudi, 62% des électeurs canadiens, dont 66% de Québécois, préfèrent en effet Mark Carney à Pierre Poilievre pour négocier avec Donald Trump.

Il reste néanmoins à M. Poilievre l’autre moitié de la campagne, dont deux débats des chefs, pour tenter de renverser la tendance. Saura-t-il le faire?

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