L’été où la démocratie américaine s’est éclipsée


Pierre Martin
Depuis ma dernière chronique en juin, les États-Unis ont cessé d’être une démocratie véritablement fonctionnelle et sont devenus un régime autoritaire. Que s’est-il passé?
Tous les Américains connaissent l’histoire de Rip Van Winkle, qui s’est endormi avant la révolution et s’est réveillé quelques décennies après. Son pays, méconnaissable, était devenu une démocratie.
On pourrait aujourd’hui imaginer une histoire semblable dans le sens inverse. En quelques mois à peine, cette fois, la démocratie américaine a été éclipsée par l’autoritarisme.
Une checklist de l’autoritarisme
Le politologue Dan Moynihan a identifié huit formes de contrôle qu’un régime autoritaire cherche à renforcer. Celles-ci ont marqué l’actualité de l’été, en plus des indices caricaturaux d’autoritarisme, comme les bannières géantes à l’effigie du dear leader ou les réunions de cabinet à la Kim Jung-un.
Donald Trump exerce son contrôle de la bureaucratie en abattant les remparts qui la protègent contre l’instrumentalisation politique. Il a notamment congédié la statisticienne en chef, coupable d’avoir publié des chiffres défavorables, et il tente d’évincer une gouverneure de la Réserve fédérale, coupable d’ignorer ses préférences.
Pour gagner le contrôle des forces armées, Trump opère une purge des hauts gradés qui osent placer leur allégeance à la Constitution au-dessus de leur loyauté envers le Commander in Chief.
À Los Angeles, à Washington et bientôt à Chicago, Trump établit son contrôle de la sécurité publique en déployant inutilement des troupes. Pire, le budget impopulaire adopté en juillet accorde à la police frontalière (ICE) un budget supérieur aux budgets militaires de plusieurs grands pays.
Cet été, le président a consolidé son contrôle sur les universités, la société civile (dont les entreprises) et les médias. Trump s’est arrogé des pouvoirs inédits et a utilisé des tactiques d’intimidation dignes de Don Corleone pour soumettre des institutions civiles aussi puissantes que Harvard, Intel et CBS à ses volontés.
Deux piliers de la démocratie
Le contrôle du système judiciaire a été mis en évidence, entre autres, par les efforts du ministère de la Justice d’empêcher la publication des dossiers Epstein, potentiellement embarrassants pour l’ex-meilleur ami de ce pédophile criminel.
Que ce soit au FBI, dans les bureaux de procureurs ou sur les bancs de la magistrature, le régime Trump poursuit son noyautage du système judiciaire. Trump ignore les injonctions des tribunaux, sachant que plusieurs seront renversées par une cour suprême qui lui est largement favorable et qui n’a que son pouvoir de persuasion pour faire prévaloir ses décisions.
Finalement, Trump cherche à contrôler les élections, notamment en incitant les États républicains à tripoter leurs cartes électorales à l’avantage du parti. Il cherche aussi à modifier à son avantage les règles du vote, même si ces dernières sont la compétence exclusive des États. Les prochaines élections seront-elles libres et justes? Pas sûr.
Bref, si vous avez eu la chance d’éviter les nouvelles américaines depuis juin, je suis désolé de vous annoncer que les États-Unis sont désormais – appelons les choses par leur nom – sous la coupe d’un régime autoritaire.
Le resteront-ils? On peut peut-être faire confiance au peuple américain, qui exprime dans les sondages et dans les rues son opposition soutenue aux actions de Trump, pour éviter le pire. Mais, au rythme où vont les choses, peut-être pas.