L’étalement urbain, un fléau pour la biodiversité

Christian Savard | Directeur général de Vivre en Ville
C’est chez nous que se discute ces jours-ci, avec la 15e Conférence des Parties à la Convention de l’ONU sur la diversité biologique (COP15), l’avenir de la biodiversité. L’aspect le mieux connu du projet de cadre mondial de la biodiversité est l’objectif de conservation de 30% de territoire en aires protégées. Ce qui est moins connu, c’est que sa première cible porte sur l’aménagement de l’ensemble du territoire.
« Cible 1. Veiller à ce que toutes les zones terrestres et maritimes fassent l’objet d’une planification spatiale intégrée incluant la biodiversité et tenant compte des changements d’utilisation des terres et des mers, en conservant les zones intactes et sauvages existantes. »
Ce n’est pas par hasard que cette préoccupation arrive en premier. En effet, comment croire que protéger 30% du territoire pourrait suffire à préserver la biodiversité si, sur les 70% restants, on ne se fixe aucune limite?
Prendre trop de place
Avec la généralisation de la voiture et l’augmentation du niveau de richesse, nous nous sommes mis à utiliser beaucoup plus de territoire par personne. Au Québec, comme dans la plupart des pays les plus riches, plusieurs études montrent que l’artificialisation du territoire augmente environ trois fois plus vite que la population, depuis des décennies. Trois fois plus vite! C’est pour cela qu’on parle d’étalement urbain, et non pas simplement d’urbanisation.
Entre 1986 et 2011, près de 600 kilomètres carrés supplémentaires ont été urbanisés dans la région métropolitaine de Montréal. L’équivalent de 300 parcs du Mont-Royal. Chaque mois, pendant 25 ans, c’est la superficie du parc du Mont-Royal en milieux naturels et agricoles qui a ainsi disparu.
En construisant sur les milieux naturels des maisons isolées, des zones commerciales et des routes, nous détruisons l’habitat de nombreuses espèces animales et végétales. Or, au Québec, c’est dans le sud, où se produit l’étalement urbain, qu’on trouve la biodiversité la plus riche. Pour trouver à nous loger, nous ne sommes pas seulement en concurrence avec les autres acheteurs et locataires: nous faisons aussi compétition aux fougères, aux oiseaux et aux tortues.
Destruction des milieux naturels
Les chercheurs estiment que l’étalement urbain est l’une des principales causes de destruction des milieux naturels et l'une des pires menaces pour la biodiversité. Pas étonnant que l’ONU mise en priorité sur l’aménagement du territoire pour la protéger.
La clé, pour préserver les habitats naturels, c’est d’arrêter de s’y étaler. Il y a largement la place, dans les milieux déjà urbanisés, pour accueillir la croissance démographique à venir: misons sur la consolidation!
Le Québec a adopté il y a quelques mois sa première politique nationale d’aménagement du territoire, qui reconnaît notamment qu’il faut « planifier le territoire de manière à favoriser la préservation des milieux naturels et de la biodiversité ». Son premier plan de mise en œuvre est attendu pour cet hiver. Il est crucial qu’il adopte le principe d’étalement zéro, et mette en place le cadre législatif et fiscal pour en faire une réalité.
Il en va de la préservation de la biodiversité, mais aussi de notre propre santé. Les milieux naturels nous rendent des services écologiques irremplaçables – climatisation et purification de l’air, pollinisation, prévention des inondations, etc. Des chercheurs ont estimé en 2014 que juste dans la région de Montréal, l’étalement urbain fait disparaître en une seule année pour 235 millions de dollars de services écologiques que nous devons remplacer par des infrastructures coûteuses, et souvent moins efficaces.
La COP15 se passe chez nous. Nous ne pourrons pas dire, plus tard, que nous ne savions pas. Agissons maintenant, pour des milieux de vie humains et naturels préservés et résilients.
Christian Savard, Directeur général, Vivre en Ville