À Calais, les Ukrainiens sont des migrants pas comme les autres

AFP
«Merci la France !» : à Calais, ultime étape avant l’Angleterre, les réfugiés ukrainiens saluent la solidarité dont ils bénéficient, entre hébergement, aide de la population et services consulaires britanniques. Un accueil dont les migrants non européens, dans les camps avoisinants, rêvent de profiter un jour.
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Après des heures de route depuis la Slovaquie, Ihor Krainyk souffle enfin. Arrivé à Calais (nord de la France), il a pu dormir et manger au chaud, en famille, loin de la guerre.
«C’est très bien organisé ici, merci la France !», lance ce quinquagénaire grisonnant. Ouvrier du bâtiment, il travaille à Londres. Mais il est parti en début de semaine récupérer sa femme et sa fille, qui ont fui les bombes et les combats, à la frontière slovaque.
«Quand on est arrivés à Calais mercredi, on avait conduit ininterrompu pendant plus de 24 heures», raconte-t-il. «Au port, les douaniers britanniques nous ont dit que moi, je pouvais rentrer en Angleterre. Mais pas ma femme ni ma fille... Et on s’est retrouvés là, épuisés, sans savoir où aller».
«Heureusement, les gens ont été très accueillants, et nous ont dit de venir dormir ici», poursuit-il.
Ils sont hébergés avec une soixantaine d’autres Ukrainiens par la mairie de Calais dans une auberge de jeunesse spécialement ouverte depuis lundi, un épais bâtiment en béton au milieu d’immeubles.
«J’ai voulu payer, et on m’a dit +non+», dit Aleksandra, une énergique quinquagénaire en doudoune grise métallisée. «On est vraiment accueillis».
«Discrimination»
Dès jeudi soir, des habitants des environs ont apporté des produits de première nécessité, comme des vêtements, des couches, des biberons, des produits de soins et des jouets.
Face à l’afflux attendu à Calais, les autorités britanniques ont aussi dépêché des fonctionnaires, qui reçoivent les demandeurs d’asile à la sous-préfecture. Mais uniquement les Ukrainiens.
Les premiers arrivés sur place, une famille de neuf adultes, ont même été reçus par la maire de la ville, Natacha Bouchart (LR), en début de semaine.
Un traitement qui a ému parmi les militants locaux et sur les réseaux sociaux, dans une ville où les migrants venus du Soudan, d’Érythrée, d’Afghanistan ou encore de Syrie, sont installés dans des conditions souvent dramatiques et régulièrement chassés par les forces de l’ordre.
«La grosse différence, c’est que les Ukrainiens sont en situation régulière», réplique la maire.
Elle pointe le fait que l’Union européenne a accordé jeudi une «protection temporaire» inédite aux réfugiés fuyant la guerre en Ukraine.
«C’est génial de voir tout cela se mettre en place», se réjouit François Guennoc, de l’Auberge des migrants, une coalition d’associations venant en aide aux exilés.
«Mais on aimerait que tous ceux qui fuient la guerre soient traités ainsi. Si les autorités britanniques ouvrent un bureau à Calais, pourquoi serait-il réservé aux Ukrainiens ?» s’interroge-t-il. «Un réfugié, c’est un réfugié, il ne devrait pas y avoir de discrimination».
«Chez nous aussi il y a la guerre»
À quelques pas de l’auberge, un groupe de Soudanais avale un repas froid sur un bloc en béton, guettant un poids lourd à bord duquel se cacher pour rallier le Royaume-Uni.
«Chez nous aussi, il y a la guerre, des milices», souligne Omar, 33 ans, arrivé du Darfour il y a quelques mois. «Nous aussi on voudrait aller en Angleterre, mais ici on souffre. Chaque matin la police vient nous faire déplacer nos tentes».
«Nous sommes Noirs, Africains, c’est peut être pour ça», avance-t-il.
Mais même pour les Ukrainiens, l’accueil ne sera pas illimité. Les visas britanniques ne seront délivrés qu’à ceux qui ont des proches au Royaume-Uni. Et pour eux, les démarches restent floues et complexes.
Oksana Savchenko, une Britannique d’origine ukrainienne, s’est ainsi rendue à Calais pour faire des papiers pour sa sœur, actuellement hébergée en Pologne avec son bébé.
«Elle a le droit de venir... Mais on ne sait même pas où lui dire d’aller pour déposer une demande de visa. On attend le rendez-vous, à Paris ou à Bruxelles», dit-elle, jugeant «illogique» cette politique migratoire.