Publicité
L'article provient de Salut Bonjour

Les robots conversationnels peuvent-ils remplacer les psychologues?

PHOTO ADOBE STOCK
Partager
Photo portrait de Dre Christine Grou, psychologue

Dre Christine Grou, psychologue

2025-10-05T16:00:00Z
2025-10-05T16:05:00Z
Partager

L’engouement actuel pour l’intelligence artificielle (IA) et les robots conversationnels est bien réel. Plusieurs personnes y ont recours pour briser leur isolement, partager leurs préoccupations ou simplement dialoguer. Faut-il s’en réjouir... ou plutôt s’en inquiéter?

Ne vous attendez pas ici à une posture intransigeante ou à une attaque contre l’IA. Pas question pour moi de la diaboliser. Mais pas question non plus de l’idéaliser. Ma formation en éthique et mes nombreuses années de pratique clinique, conjuguées aux développements sociaux et politiques, m’ont convaincue qu’il faut non seulement nous intéresser à ce phénomène, mais aussi en saisir la portée et les enjeux. 

La puissance de l’IA nous impose de demeurer critiques, prudents et vigilants. Il existe d’ailleurs un large consensus chez les chercheurs et experts s’intéressant à l’IA quant à la nécessité d’encadrer son développement: non pas pour l’empêcher d’exister, mais pour en maximiser les bienfaits tout en minimisant les méfaits potentiels.

De la tentation (et des limites) de l’IA

Si l’IA attire autant, c’est d’abord pour son accessibilité et sa disponibilité: aucun être humain (ou thérapeute) ne peut répondre 24 heures sur 24, sept jours sur sept et sans délai, à une diversité de demandes. 

De plus, lorsqu’une relation s’installe avec l’IA (ou un «thérapeute numérique»), une impression d’anonymat et de sécurité peut s’en dégager, d’autant plus que l’utilisateur peut demeurer dans le confort de son foyer tout au long de ces interactions. 

Publicité

Ce qui rend le processus encore plus rassurant, c’est le ton personnalisé du robot, programmé pour nous valider sans confronter ni susciter de remise en question, et pour demeurer centré sur nos propos. 

Tout cela à un prix défiant toute concurrence!

Mais est-ce bien rendre service à une personne que d’offrir cette disponibilité entière et cette relation artificielle centrée uniquement sur elle? Toute relation humaine ne peut se réduire à ce confort. 

Comme je l’expliquais dans une précédente chronique, grandir et évoluer demandent aussi l’expérience de l’altérité, c’est-à-dire de la rencontre avec l’autre dans sa différence. Être exposé à un regard distinct du nôtre – parfois surprenant, parfois confrontant, parfois déstabilisant – est nécessaire et compte de nombreux bienfaits, ce que l’IA saurait bien difficilement nous offrir.

Ses avantages... et ses dangers

Par ailleurs, il est vrai que l’IA peut aider le professionnel dans son exercice. Par exemple, pour rédiger des notes ou des résumés de rencontre – avec le consentement du client et toutes les précautions nécessaires pour protéger la confidentialité.

Cela dit, l’IA ne peut pas remplacer un psychologue. Ce dernier se distingue par sa formation, son intelligence émotionnelle, son empathie, son jugement clinique et sa capacité à analyser, pondérer et intégrer des informations complexes et variées sur une personne. Ces données sont recueillies par un ensemble de moyens incluant des entretiens et observations, le tout en tenant compte du contexte. 

Au terme d’un processus rigoureux, le psychologue fait ses interventions en s’appuyant sur les connaissances validées scientifiquement, son expérience professionnelle, les particularités du client et le respect des principes éthiques et déontologiques. 

Publicité

Qui plus est, l’interaction avec un psychologue permet un réel échange entre l’individu et ce professionnel, pouvant engendrer d’importantes réflexions et remises en question chez la personne qui le consulte.

L’IA ne peut pas non plus remplacer l’analyse et l’évaluation du psychologue. Les «diagnostics» ou recommandations de l’IA en santé mentale peuvent être incomplets, simplistes, erronés ou même dangereux pour les personnes vulnérables ou souffrant de troubles graves. Bien que qualifiée d’intelligente, l’IA ne possède ni intelligence émotionnelle, ni conscience réflexive, ni empathie ressentie.

Si l’IA peut soutenir un client ou un patient entre les rencontres, par exemple pour des exercices ou des autosoins, ou encore fournir certains conseils pertinents dans une situation donnée, il faut tenir compte de ses importantes limites. Cela est d’autant plus vrai en matière d’activités réservées, comme la psychothérapie et le diagnostic en santé mentale, qui comportent un risque élevé de préjudices.

Confidentiel, gratuit... et trop beau pour être vrai?

Lorsque vous confiez vos préoccupations à un psychologue, ce professionnel est tenu au secret professionnel. Avec un robot conversationnel, en revanche, tous vos échanges – parfois très sensibles – laissent une trace. Où exactement? On ne le sait pas toujours. 

Sans que vous le sachiez, ces données pourraient en effet servir à l’apprentissage de l’IA: comme le veut la célèbre expression, «lorsqu’un service est gratuit, vous êtes le produit». 

Sans compter que plusieurs compagnies technologiques finissent bien souvent par réclamer des frais. Il pourrait y avoir un risque réel si cela survient au moment où l’habitude (ou la dépendance?) s’est bien installée, avec cette façon dont l’IA maintient si habilement le dialogue avec l’utilisateur, évite la confrontation et les remises en question. 

Publicité

Difficile de savoir gérer le deuil en pareil cas? Possiblement... et en tous les cas, cela me préoccupe.

Trop souvent, l’IA ne reconnaît pas non plus la nécessité pour la personne de faire une pause dans son utilisation de l’IA, ou encore de consulter un professionnel humain. Or, beaucoup de personnes viennent en thérapie pour se pencher sur leurs difficultés relationnelles... 

Bien souvent, rien dans l’IA ne nous renvoie à des réflexions sur notre fonctionnement, nos dynamiques relationnelles, nos attentes, exigences, blessures ou déceptions. Autant d’éléments qui me semblent aussi préoccupants.

Le psychologue sait que le processus thérapeutique n’est pas toujours confortable: il peut comporter des confrontations constructives, des remises en question, des interrogations sur nos pensées, nos interprétations ou les intentions que nous prêtons aux autres. 

Le thérapeute ajuste aussi constamment son rythme et sa façon d’intervenir pour soutenir la progression du client. Il agit avec transparence et éthique: son rôle n’est pas de plaire ou d’être complaisant, de dire ce que le client souhaite entendre, mais de guider la personne, l’aider à progresser et à évoluer vers un mieux-être ainsi qu’un sentiment de contrôle et de liberté accrus.

L’IA: là pour rester

Dans un contexte d’insécurité économique et de listes d’attente trop longues pour rencontrer un professionnel, l’IA peut sembler une option crédible. Elle l’est parfois, pour réfléchir à une situation donnée ou briser le sentiment de solitude. 

Nul doute qu’elle peut avoir certaines vertus thérapeutiques, même si elle ne peut, à mon avis, remplacer un professionnel habilité en santé mentale.

En somme, l’IA représente beaucoup de potentiel pour rendre notre vie meilleure ou plus facile, mais aussi un grand potentiel de risques si on ne maîtrise ou ne balise pas son utilisation. Tout comme il est difficile de remettre le dentifrice dans le tube, rien ne pourra freiner les avancées de l’IA. Mais elle doit absolument être encadrée, notamment par nos savants, mais également par nos gouvernements, car sa puissance et sa portée commandent une grande prudence et une éthique entourant son utilisation afin d’en tirer, comme je le soulignais plus tôt, le maximum de bienfaits et le minimum de dommages potentiels.

Prenons soin de notre humanité

Dans le contexte actuel, alors que nous voulons rendre les soins plus humains, la solitude alimente la détresse psychologique et l’anxiété, tandis que nous savons que la qualité des relations influence directement le bonheur. Les liens significatifs constituent un facteur de protection pour la santé mentale. Face aux avancées technologiques, il est donc essentiel de cultiver nos relations et de prendre soin de notre humanité.

Publicité
Publicité