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L'article provient de Le Journal de Montréal
Culture

Les remises en question de Catherine Chabot

MARIO BEAUREGARD/AGENCE QMI
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Samuel Pradier

2022-07-29T08:00:00Z
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Un artiste se définit par sa capacité à exprimer une vision du monde, et Catherine Chabot réussit à le faire pleinement grâce à Lignes de fuite, sa pièce de théâtre qui devient un long métrage dans lequel elle joue avec Mariana Mazza et Léane Labrèche-Dor. Les angoisses de la vie, l’amitié, l’état de la planète que l’on va laisser aux générations futures, tout y passe. Catherine Chabot s’est confiée sur toutes ses remises en question. 

Catherine, comment est née l’idée de départ de Lignes de fuite?

J’ai été très impliquée dans la grève étudiante en 2012. Dix ans plus tard, je suis beaucoup moins intense qu’à l’époque. Je discutais avec des amis et on se demandait ce qui restait de ce mouvement, si les choses avaient changé, si les jeunes ont fait une différence à l’époque... Je voulais prendre le pouls politique de ce qui se passait chez les gens de ma génération. J’avais envie d’aller voir si on a les mêmes idées poli- tiques que nos parents, si on est dans les mêmes lieux communs, et comment on se positionne en vieillissant. Je voulais savoir si on était aussi différents qu’on pensait de la génération de nos parents et de celle d’avant. Ma réponse est que plus ça change, plus c’est pareil.

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Les filles de la pièce se posent beaucoup de questions. Est-ce aussi un trait de ta personnalité?

Mes contemporains, l’air du temps et mes angoisses m’inspirent beaucoup. Je suis aussi allée puiser dans mes anxiétés personnelles. C’était comme une sorte de thérapie. Au moment de l’écriture, j’arrivais aussi au début de la trentaine et je me demandais si je voulais des enfants, si je répondais à mes attentes et à celles que les autres projettent sur moi, si j’étais rendue où je voulais dans ma carrière... Je trouve que le cap de la trentaine marque l’heure des bilans, surtout pour les femmes, car il nous reste juste une décennie pour faire des enfants. Lignes de fuite a été un catalyseur de tous ces questionnements. Mais je ne donne pas de réponse, j’expose plusieurs points de vue et chacun des personnages incarne une façon de voir, amène une réponse. Bien entendu, personne n’a raison et personne n’a tort.

En reprenant ce texte pour l’adapter au cinéma, as-tu trouvé tes propres réponses?

La question des enfants est close, ma petite fille a 15 mois, ma réponse est claire. Pour le reste, je pense que tous ces questionnements sont les mêmes que ma mère a eus. Chaque décennie de la vie amène des interrogations particulières. Le film s’adresse à tout le monde, car ce sont trois femmes qui traversent de grandes étapes de leur vie, et tout le monde peut s’identifier à ça. À l’intérieur de nous, il y a plein de possibilités, et la vie nous conduit à prendre telle ou telle avenue. Mais Lignes de fuite nous apprend qu’il y a toujours moyen de saisir un aspect de notre personnalité qui va nous donner l’élan pour changer notre parcours.

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Pourquoi as-tu autant de questionnements selon toi?

J’ai toujours été comme ça. En fait, mon père est tombé malade quand j’avais quatre ans. Il y a toujours eu une espèce de peur de la mort, et donc d’urgence de vivre. Je me suis toujours posé des questions sur la vie, sur comment je veux vivre, comment bien vivre, sur ce que je veux faire de ma vie... Heureusement, mon père est toujours vivant. Il est tombé malade à l’âge de 28 ans, et après 10 ans, il a finalement eu une greffe cardiaque. On célèbre, cette année, son 20e anniversaire en tant que greffé. Il a désormais 57 ans et il est assez en forme, malgré toutes les conséquences sur la vie qu’implique une greffe.

As-tu eu peur que son problème cardiaque soit héréditaire?

C’est une question que j’ai longtemps portée. Mon frère et ma sœur se posent aussi beaucoup de questions, ils sont très sensibles et poreux au monde. L’histoire de notre père a vraiment influencé notre façon de vivre, notre sensibilité au monde, ajoutant une petite fébrilité à savoir si quelque chose nous pend au bout du nez. Mais on a finalement tous vu le cardiologue et nos cœurs sont en santé, au moins pour un petit bout!

Le film Lignes de fuite est aussi une histoire d’amitié, celle de trois femmes qui se retrouvent. Quelle place tient l’amitié dans ta vie?

Ma meilleure amie est une amie du secondaire, on évolue ensemble.

On a le même type de pensée. Elle étudie actuellement au doctorat en Colombie-Britannique; c’est elle la philosophe derrière le concept de Lignes de fuite. Elle a beaucoup travaillé sur l’œuvre de Gilles Deleuze. Elle me nourrit beaucoup intellectuellement. Mais pour amener tous les enjeux politiques dont je voulais parler dans le film, il me fallait un point commun, et il n’y a rien de mieux qu’un groupe d’amis pour incarner des pôles différents. Une des choses qui m’angoisse beaucoup actuellement, c’est la polarisation de la société. On est plus campés dans nos positions que jamais, et je voulais incarner ça dans un trio d’amies. En même temps, je voulais que chacune ait son angle. Il y a celle à gauche, qui est égoïste; celle à droite, qui est extrêmement généreuse, et la majorité silencieuse au centre qui ne dit rien.

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As-tu ce genre de rapport avec ta meilleure amie?

Non, parce qu’on se voit sur une base régulière. Avec Marie-Sophie, on évolue en même temps, on traverse le même genre de période au même moment. On se suit dans nos questionnements, dans nos points de rupture. Elle habite actuellement sur un voilier dans le port de Victoria, c’est une grande intellectuelle qui va changer le Québec de demain. Retenez bien son nom: Marie-Sophie Banville.

Ta fille, Joséphine, a seulement 15 mois. Or tu as beaucoup travaillé dans les dernières années. Comment as-tu négocié le rapport travail-famille?

J’ai la chance immense d’avoir un chum extraordinaire, qui est d’un sou- tien indéfectible. D’abord, c’est lui qui cuisine à la maison, et il a été en congé de paternité durant neuf mois. J’ai pris trois mois, et j’ai ensuite recommencé à travailler. Nicolas a été très présent par la suite. Tous les jours, il venait sur les plateaux de tournage pour que je puisse allaiter ma fille, et le soir, il attendait pour que je puisse donner le bain et allaiter avant le dodo. Sans lui, je n’aurais pas pu faire ça... ni sans l’aide de ma mère et de ma belle-mère, qui nous ont beau- coup aidés.

Est-ce que ton chum travaille dans le milieu également?

Pas du tout! Nicolas est charpentier- menuisier et travaille donc dans le milieu de la construction. Sa décision de prendre un congé de paternité a été super bien acceptée dans son milieu. Ses collègues lui ont même fait un BBQ de départ. Les mentalités évoluent beaucoup, ce sont tous des gars de son âge et ils étaient très contents pour lui. Il est même allé visiter les chantiers avec la petite pendant son congé.

  • Catherine Chabot a écrit et coréalisé le film Lignes de fuite, dans lequel elle joue avec Mariana Mazza et Léane Labrèche-Dor. Le long métrage est actuellement en salle. On verra également Catherine dans la nouvelle série Hôtel, présentée cet automne, à TVA.
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